© Yann POTHIER / Astro-Ciel n°36
Cet article marque mes débuts de reporter du ciel profond alors j'espère que les observateurs chevronnés pardonneront mes naïvetés de jeunesse. J'ai simplement mis à jour les illustrations à l'aide d'observations récentes. Ces "ronds de fumée" cosmiques peuvent intéresser l'astronome amateur, tant par des caractéristiques astrophysiques encore controversées quant à leurs origines ou leur nature, que par des aspects visuels contrastés abordables dans les plus petits instruments. Ainsi, l'observateur débutant comme le chevronné, peut à loisirs noter des détails sur les nébuleuses qui corroborent parfaitement leurs morphologies et les lois physiques ou mécaniques qui les régissent. Nébuleuses ou planètes... La première nébuleuse planétaire (en abrégé : NP) est découverte par Messier en 1764 , et enregistrée sous le numéro 27 dans son célèbre catalogue. Les découvertes se succèdent ensuite au rythme d'observateurs comme Jonckeere ou Herschel. C'est, d'ailleurs, cet astronome anglais qui baptisa en 1785 ces objets d'après leur ressemblance télescopique avec les planètes, lesquelles présentent elles-aussi des disques diffus aux contours nets. En réalité, hormis l'hypothèse selon laquelle certaines NP, dites proto-planétaires, seraient des systèmes solaires en formation (par exemple: NGC 7027) , cette analogie demeure purement du domaine de l'esthétique. A l'heure actuelle, on dénombre environ un millier de NP connues, et on soupçonne la Voie Lactée, notre galaxie, d'en contenir dix fois plus. Portrait de famille Malgré quelques détails qui restent à clarifier, un scénario général prend forme pour expliquer la formation de tels objets. En fin d'évolution stellaire, une étoile passe par la phase de géante rouge. Son vent stellaire s'intensifie alors, et emporte à la vitesse de 10 km/s quelques millionièmes de masse solaire de matière (soit, quelques milliers de milliards de milliards de tonnes) comme l'hydrogène, l'hélium, l'oxygène ou l'azote, formée pendant la vie de l'étoile. Cette matière particulaire et gazeuse se dilue dans un volume dont le diamètre varie de 0,1 à 10 années-lumières pour les plus anciennes (une NP classique atteint un diamètre de 0.5 AL , 20. 000 ans après l'explosion initiale). Ce vent s'accélère ensuite, en raison d'instabilités internes de l'étoile, pour se stabiliser à une vitesse de 1000 km/s, créant ainsi un vide relatif autour de la centrale -particulièrement apparent pour les NP annulaires. Un front de compression se forme entre les deux bouffées de gaz animées par deux vitesses différentes, et ce front s'ionise grâce au rayonnement ultra-violet de l'étoile centrale, et devient visible dans nos télescopes à des longueurs d'ondes bien précises, comme celle de l'oxygène trois fois ionisé (OIII), autour de 500nm. Cette enveloppe gazeuse se trouve ainsi chauffée à 10 000 K, et fortement diluée (environ 10 000 atomes/cm3). Il est à noter qu'une densité mille fois supérieure est considérée comme un excellent vide.... sur Terre ! Strip-Tease cosmique Quant à l'étoile centrale, elle se dénude peu à peu, et un devient un résidu très chaud (30 000 à 300 000K), donc très bleu (de type spectral B, O ou W), très dense (100 kg/cm3), et très petit (10 000 km de diamètre) par rapport à l'étoile génératrice (environ 1 000 000 km), que l'on assimile communément à une naine blanche. Ce cadavre stellaire possède, ne l'oublions pas, un imposant champ magnétique qui, en orientant de manière préférentielle selon les lignes de champ les particules électriquement chargées du gaz nébulaire, explique les formes variées -bipolaires notamment- de certaines NP. Questions sans réponses Néanmoins, il subsiste des doutes concernant des paramètres plus précis comme la distance, la nature exacte de l'étoile centrale, ou les liens hypothétiques avec les novae. A propos des indications de distance, on mentionne en effet dans la littérature spécialisée, des cas qui varient du simple au décuple. Selon Kohoutek par exemple, la nébuleuse du Hibou (M 97) se trouve à 1600 AL, alors que K. G. Jones obtient, pour le même objet, une valeur de 9000 AL.... D'autre part, il a été établi des liens avec les étoiles de Wolf-Rayet, lesquelles éjectent aussi du gaz à la manière des centrales de NP, et présentent un spectre analogue. Or, leur vent stellaire évacue beaucoup moins de matière : cela rend le phénomène d'enveloppe nébulaire excitée bien moins brillant, donc moins détectable (on se référera au cas de NGC 6888, la nébuleuse du croissant, sous gamma Cygni, que l'on a eu l'occasion de rencontrer dans les pages centrales d'Astro-Ciel). Enfin, les novae présentent des mécanismes d'éjection semblables (de même que les supernovae), mais plus intenses et plus brefs, alors que les NP semblent pouvoir rester visibles pendant au moins 30000 ans avant de se diluer complètement. Hors des sentiers battus... S'ajoutent à ces incertitudes des cas particuliers comme NGC 1360 dans le Fourneau, NGC 6302 la "bug nebula" dans le Scorpion, ou NGC 7635 la "bubble nebula" dans Cassiopée, qui sont parfois considérée comme des objets à mi-chemin entre les NP et les nébuleuses diffuses. En effet, elles possèdent un certain nombre de points communs susceptibles de prêter à confusion : leurs spectres analogues, la présence en leur sein d'une étoile plus ou moins centrale ainsi que leur répartition galactique. Dès lors, les astronomes, tant professionnels qu' amateurs, sont en droit de se poser des questions quant au phénomène encore imparfaitement connu de ces tombes célestes que sont les nébuleuses planétaires. De la théorie à la pratique Il existe des nébuleuses planétaires pour tout les instruments astronomiques d'amateurs: des chercheurs de 30mm au Dobson de 300mm...On voit bien sûr plus de détails dans les gros télescopes mais l'observation systématique, dans diverses conditions des objets accessibles à un petit diamètre donné, peuvent apporter l'expérience et l'opiniâtreté pour observer encore plus faible, ou encore plus petit. Mon expérience en ce domaine est basée sur trois ans d'observations lors des vacances scolaires à l' aide, dans un premier temps, de jumelles de 50 mm de diamètre (en abrégé : J50) et d'un classique Newton 115/900 (T115), puis pour une période avec un Meade Schmidt-Cassegrain de 200 mm et d'une lunette de 60 mm (T200 et L60), et enfin des observations fines et poussées ont pu être réalisées dans le Dobson de 310 mm ouvert à F/D=3.4 de R. Monnerot (T310). Mon site du Queyras (Hautes-Alpes) peut être considéré comme un bon site au niveau de la transparence nocturne, mais moyen au niveau de la turbulence car une vallée alpine est synonyme d'entonnoir à vent. De cette expérience générale, je tirerais quelques conseils à l'usage des débutants quant à l'instrument et au site idéal :
Nul besoin de préciser qu'il faut éviter le clair de lune, et attendre que l'objet ait atteint une hauteur raisonnable de 30° au-dessus de l'horizon pour observer. Ces conditions respectées amélioreront sensiblement la qualité des observations. L'aspect Annulaire Cette caractéristique spécifique à certaines NP est bien observable sur la très célèbre M57 de la Lyre (m=9.3 - dim: 80x60"). Déjà, dans une lunette de 60mm (L60), on constate l'assombrissement central; dans un télescope de 310mm (T310), des étoiles faibles apparaissent autour d'un anneau verdâtre. Une courte observation au 60 cm du Pic de Château-Renard (St-Véran) ne m'a pas permis de distinguer l'étoile centrale de magnitude visuelle mv=14.7. Cette nébuleuse est l'une des plus facilement observable par les débutants. Plus difficiles,et aux dimensions très différentes, NGC 7293, la nébuleuse Hélix dans le Verseau (m=6.5 - dim=15'x12', la plus étendue connue) et NGC 7662 dans Andromède (m=8.9 - diam.= 30") dont les structures annulaires sont respectivement accessibles au T200 et T310. A noter qu' Hélix est visible aux J50 et que sa centrale de 13ème magnitude est vue parmi d'autres au T200. NGC 7662 est bien visible,homogène au T115. On pourra aussi chercher NGC 1501 (m=13 - dim= 55x 50") dans la Girafe, peu observée mais bien visible dans le T115, et dont le centre s'assombrit au T310, laissant apercevoir la centrale de mv=13.4 à fort grossissement par turbulence faible. L'aspect bipolaire Aspect parfaitement illustré par la Dumb-Bell Nebula, M27 dans le Petit Renard (m=7.8 - dim= 8x4' ), déjà visible comme une étoile floue dans un chercheur de 30 mm de diamètre; la L60 montre sa forme de sablier (bipolaire), et le T115 montre les extensions diffuses et faibles qui rendent à M27 son aspect circulaire. Le T310 permet de voir la centrale de m=13.4; avec le filtre UHC, elle est "éblouissante"! Enfin, un exemple moins célèbre, M76 la nébuleuse du Papillon dans Persée (m=10.5 - dim= 85x45") est séparée en deux lobes diffus par un étranglement central sombre au T200, et seulement allongée au T115. A essayer cet automne, NGC 2371-2 ( m=13,0 - dim= 55x 45") composée de deux nébulosités auxquelles Dreyer a donné deux numéros distincts : elle est vue allongée et faible au T115. L'aspect stellaire Certaines NP, tout en restant brillantes, atteignent des dimensions inférieures à 10' d'arc, ce qui les rend très difficiles à différencier des étoiles qui les entourent dans le champ du télescope à première vue, ou à faible grossissement. On peut soit grossir beaucoup (avec toutes les difficultés de repérage qui s'ensuivent), soit se guider à leurs couleurs (bleues ou vertes, mais souvent trop faible colorations). Le meilleur moyen est le suivant : il faut placer un système dispersif (réseau, prisme, ou spectroscope) devant ou derrière l'oculaire selon la commodité. Les étoiles présentent alors un spectre continu, donc étalé, sous forme d'un trait fin quand la mise au point est bonne, coloré si l'étoile est suffisamment brillante, alors que la NP, qui rayonne principalement autour de 5000 angstroems, reste sensiblement ponctuelle et stellaire. Cette combinaison m'a permis d'observer NGC 6790 (m=10.2 - diam= 7") dans l'Aigle avec le T115; à 200x, dans le même instrument, elle est quasi-stellaire et scintille moins que son voisinage d'étoiles. Les étoiles centrales Ce même procédé permet aussi de différencier les étoiles centrales noyés dans leurs nébulosités. La nébuleuse reste ponctuelle, et est traversée par l'étalement de la centrale. Ce phénomène est facilement identifiable sur NGC 6543 dans le Dragon (m=8.8 - dim= 22"x16") dont la centrale de 11ème est étalée dans le T115, alors que sans dispersion, elle est trop homogène pour permettre d'y différencier l'étoile qui se meurt. Le phénomène est le même pour NGC 7009, la Saturn Nebula dans le Verseau (m=8.4 - dim= 45"x25") qui présente un ovale homogène et brillant sur un faible voile diffus, sans présence de centrale à 300x au T310, alors que le T200 montre spectroscopiquement l'étalement net et fin de la centrale de 11ème. Sur IC 3568 (m=11.6 - ø=18") dans la Girafe,de même, mais la centrale de 12ème apparait à 150x au T310, fine et noyée dans sa nébulosité. A essayer dans un T200... Plus difficile est l'étoile centrale de 13ème de NGC 7008 dans le Cygne (m=13 - dim= 85"x70"), perceptible visuellement au T310; cette nébuleuse est aussi bipolaire. Les nébuleuses clignotantes D'autres NP, aux étoiles centrales plus apparentes, sont appelées "Blinking Nebulae" (to blink : clignoter en anglais). A l'observation,on peut faire l'expérience suivante: en fixant directement la centrale, la nébuleuse semble disparaître, alors qu'en vision indirecte ou décalée (en regardant à coté de l'objet), la nébuleuse brillante noie la centrale; en effectuant,un va-et-vient avec l’œil, la nébuleuse clignote... Les deux exemples les plus frappant sont NGC 6826 dans le Cygne (m=8.8 - dim= 27"x24", centrale de 10ème) et NGC 2392, la nébuleuse de l'esquimau (m=8.3 - dim= 47"x43", centrale de 10ème) dans les Gémeaux; toutes deux montrent "l'effet Blink" déjà dans le T115. Les centrales multiples Sur de grandes nébuleuses en dimensions apparentes, à l'image d'Hélix, de NGC 246 dans la Baleine (m=8,5 - dim= 4'.0x3'.5) ou de NGC 6781 dans l'Aigle (m=12 - diam=106"), apparaissent des étoiles faibles dans la nébulosité, pouvant être confondues avec la centrale. Pour Hélix Nebula, on trouve 6 étoiles de 12ème et plus au T310 sur l'anneau; sur NGC 246, six étoiles de mag. 11 à 13, dont trois sont visibles en triangle au T115. Plus difficiles sont celles de NGC 6781, dont j'ai pu discerner deux membres faibles au T310 avec le grossissement résolvant. Les centrales apparentes Je propose trois exemples de difficultés croissantes:
Les nébuleuses colorées Les NP sont certainement les objets célestes dont les couleurs sont les plus facilement perçues dans les petits instruments. Déjà, dans le T115 on note la couleur bleue de NGC 6543 (déjà décrite), la tonalité bleuâtre de NGC 6210 dans Hercule (m=9.7 - dim= 20"x15") ou NGC 6818 dans le Sagittaire (m=9,9 - dim= 22x15"). Le T200 montre celle, franchement verte de M27 et celle de NGC 6572, la nébuleuse de l'Emeraude dans Ophiucus (m=9.6 - dim= 16x13"), plutôt bleue-verte. Quant à NGC 7027, une nébuleuse proto-planétaire du Cygne (m=10.4 - dim= 18x11"), là encore sa couleur bleue-pâle frappe dans le T310. NGC 3242, le "fantôme de Jupiter" (m=9,0 - dim= 40x35") devrait devrait avoir une couleur verte-jaunâtre, non notée au T115; à essayer cet hiver dans l'Hydre... Les nébuleuses controversées Je ne m'étendrais pas sur NGC 6302, la "Bug Nebula" du Scorpion, qui par -37° de déclinaison sera sans doute inobservable à la parution de cet article. Une étoile de 10ème dont s'échappent deux condensations diffuses sera donc un morceau de choix pour les amateurs, l'été prochain... Par contre, NGC 7635 dans Cassiopée, observable toute l'année (m=8,5 - dim= 200x180"), est visible comme un voile nébuleux faible autour d'une centrale de 8ème, avec un filtre assombrissant le fond de ciel comme l'UHC. On pourra aussi tenter certaines nébuleuses diffuses à l'aspect "planétaire" comme NGC 6888 ou IC 5146 , les nébuleuses du Croissant ou du Cocon dans le Cygne, grâce à un filtre interférentiel, et un instrument de diamètre supérieur à 200 mm: elle ont été vues au T310. Curiosités et challenges Un T300 pourra se tester sur NGC 7094 dans Pégase (m=13+ - diam= 95"), une très faible nébulosité à chercher près de l'amas globulaire M15, lequel contient lui-même physiquement la NP Pease 1 de mv=13,8 et de diam=3 ; peut-être l'exploit accessible au spectroscope d'un 500 mm... Enfin une cible facile au repérage aisé pour un T115 : NGC 2438 (m=11,3 - dim= 68"). Cette nébuleuse se détache facilement du fond stellaire de l'amas M46 dans la Poupe auquel elle n'appartient pas physiquement. Dans cet instrument, elle apparaît ronde et floue. Voilà pour ce rapide tour d'horizon de ces nébuleuses planétaires aux aspects multiples. J'espère avoir donné aux observateurs l'envie de jeter un coup d’œil à ces objets dont les rayonnements, d'un type inconnu sur Terre, placent le spectateur dans une perspective cosmique. |