La
théorie de Gaïa
Daisyworld
(II)
Afin
de répondre aux critiques virulentes dont il faisait l'objet, Lovelock
imagina une abstraction de l'essence des phénomènes de rétroactions, un peu
expliqua-t-il comme "une caricature qui esquisserait les traits
essentiels du sujet". La théorie de Gaïa s'adapta bien à une étude de
simulation informatique. Ceci pouvait être réalisé à propos de la Terre en réduisant
le nombre de variables environnementales à une seule, la température, et
au biotope d'une seule espèce, les pâquerettes ! Lovelock
prétendait que ce modèle serait la preuve mathématique qui
allait réfuter toutes les critiques.
Son étude
fut baptisée "Daisyworld" car il évalua la pertinence de son
modèle en peuplant un monde imaginaire de pâquerettes claires et
d'autres sombres en compétition pour conquérir l'espace.
Comment
fonctionne ce modèle ? Ce modèle est une représentation numérique
simplifiée d'une planète comme la Terre mais sans océan, dont le
climat se stabilise par l'effet de la compétition quel
que soit le rayonnement incident, et qui orbite comme la Terre autour d'une
étoile semblable au Soleil. Cette planète tourne sur elle-même et
contient relativement peu de nuages et de gaz à effet de serre dans son
atmosphère, qui compliqueraient son climat. Sur cette planète la température
moyenne est uniquement déterminée par son pouvoir réfléchissant (albedo)
et peut-être calculée par la loi de Stefan-Boltzmann.
La
biologie de Daisyworld est également très simple. Gaïa est couverte de pâquerettes
qui commencent à germer dès que la température atteint 5°C et cessent
de croître au-dessus de 40°C; elles présentent une croissance optimale à une
température de 20°C.
La
biosphère de Daisyworld contient uniquement des pâquerettes claires
(blanches), sombres (noires ou colorées) et d'autres grises. Ces fleurs influencent uniquement la température
de surface à travers leur pouvoir réfléchissant[4].
Comme
dans la nature les pâquerettes sombres absorbent le plus de chaleur; les
pâquerettes claires reflètent l'essentiel du rayonnement dans l'espace
tandis que les pâquerettes grises absorbent autant de chaleur qu'elles
n'en réfléchissent. Mais comment le rayonnement réfléchit par les pâquerettes
individuelles peut-il affecter la température globale ?
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Etat
typique du système simulant l'influence de la végétation
et de la couverture nuageuse sur la distribution de l'albedo
et la température de la Terre. |
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A
mesure que l'étoile devient plus lumineuse, la température moyenne à la
surface de Gaïa augmente. On peut ainsi prédire l'évolution de la
population des pâquerettes à mesure que la planète se réchauffe.
Ce
modèle appliquant les lois classiques de la biologie et de la physique,
les pâquerettes peuvent répondre ou s'adapter à l'environnement
physique mais ne peuvent pas le modifier. Par contre sur Daisyworld les pâquerettes
peuvent altérer le climat.
Comment
fonctionne la rétroaction, processus clé de cette étude ? La variable du système est régulée
par deux effets qui agisssent en sens opposé sur cette variable en
s'inhibant réciproquement. Sur Daisyworld, la variable est la
température. Le réchauffement ou le refroidissement est provoqué
par les pâquerettes sombres ou claires qui s'éliminent mutuellement pour conquérir l'espace.
Concrêtement,
lorsque la température atteint 5°C, toutes les graines germent. Durant la
première saison, les pâquerettes sombres croissent à un rythme plus
rapide que leurs cousines claires car elles absorbent plus d'énergie lumineuse.
Envahissant tout l'espace de Daisyworld, sa surface et l'atmosphère en
contact avec celle-ci se réchauffent - comme toute surface exposée au
Soleil -. La composante sombre sera donc l'espèce la mieux adaptée et
elle crée localement des zones chaudes qui favorisent la croissance
des autres pâquerettes.
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Variation
de la température de surface en fonction de
la population. Consulter le texte pour les
explications. Documents Werner von Bloh, PIK-Postdam. |
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Au
terme de la première saison, il y a sur Daisyworld beaucoup plus de pâquerettes
sombres que de claires. Les premières dominent donc le paysage lorsque la
nouvelle saison arrive. Elles grandissent, se réchauffent ainsi que leur
biotope. Cette explosion de pâquerettes sombre crée une rétroaction
positive ayant pour effet d'augmenter rapidement la température de Gaïa.
Bientôt la planète ne contient plus que des pâquerettes sombres, leur
effet cumulé augmentant la température globale au-dessus de la valeur
mesurée en l'absence de toute vie.
Voyons
le graphique affiché ci-dessus. Lorsque les pâquerettes sombres auront
porté la surface à une température confortable et constante, les pâquerettes
grises et blanches vont commencer à tirer profit de ces meilleures
conditions climatiques. Les pâquerettes grises vont commencer à se développer
et s'adapteront mieux que les blanches car cette dernière espèce
ne sera pas en mesure de maintenir la température suffisamment haute pour
survivre. Mais la température ne peut pas augmenter indéfiniment,
au risque de surchauffer l'atmosphère en limitant la croissance des
fleurs. Même le rayonnement du Soleil ne peut dépasser la tolérance
maximale supportée par les pâquerettes. A mesure que la planète vieillira,
la chaleur du Soleil deviendra si élevée que les pâquerettes sombres finiront
par mourir. Arrivé à ce stade, seule survivront les pâquerettes blanches qui
parviendront toujours à stabiliser la température aux
alentours de 20°C.
Dans
ces conditions d'ensoleillement extrême, seules les concurrentes claires seront avantagées, mais en
raison de leur capacité à réfléchir la lumière du Soleil, elles
ralentiront l'augmentation de température ce qui entraînera un refroidissement
des basses couches de l'atmosphère. A mesure que les pâquerettes blanches
coloniseront Daisyworld, leur effet cumulé va accentuer le ralentissement
de l'augmentation de la température qui chutera globalement bien en
dessous de la valeur mesurée en l'absence de toute vie.
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Les
cycles d'hystérésis de Daisyworld : une boucle de
rétroaction s'est installée. Comme la vie le système se
trouve parfois dans un régime instable mais il trouve
naturellement son équilibre. Documents Werner von Bloh, PIK-Postdam. |
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Sur
base de cette expérience on peut en conclure que la
compétition qui s'installe entre les différentes espèces de pâquerettes
va porter la température moyenne de surface de Gaïa proche des valeurs
offrant un maximum de confort. De cette manière, les individus, sans
avoir conscience ni être concerné par le devenir de Daisyworld prise
dans sa globalité, seront parvenus à contrôler l'environnement global
de leur planète.
Si
nous tenons compte des mutations dans notre modèle, en modifiant par
exemple l'albedo au cours de la croissance des fleurs, on constate qu'on
peut augmenter le rayonnement solaire d'au moins 20% avant que les
populations ne s'effondrent.
Finalement,
la chaleur émise par le Soleil sera si intense que plus aucune espèce de
pâquerette se sera capable de réguler la température et toutes les espèces
disparaîtront.
Prochain chapitre
La
suite du programme et Au-delà de Daisyworld
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