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La théorie de Gaïa

A la recherche d'un modèle géophysiologique (I)

Jusqu'à présent on a toujours cru que c'était l'environnement qui conditionnait l'émergence de la vie. Et si à l'inverse c'était plutôt la vie qui conditionnait toute la biosphère, avec tous les mécanismes de rétroactions que cela suppose ?

La question est de savoir si par ses interactions avec le milieu, la vie n'aurait-elle pas pu influencer la composition de l'atmosphère et sa température. Si Vénus est semblable à l'enfer et Jupiter est une planète gazeuse, pourquoi la vie choisit-elle le berceau de la Terre plutôt que celui de Mars ?

Astronomiquement parlant, selon le modèle climatique élaboré à la NASA par James Kasting[1] en 1971, la zone continûment habitable de notre système solaire s'étendrait de l'orbite de la Terre jusqu'à celle de Mars. Pour Michael Hart[2] du Trinity College cette zone est trop vaste et se limite plutôt à la bande comprise entre une orbite courte, 5% plus petite que l'orbite terrestre et une orbite longue, 1% plus allongée que l'orbite terrestre. Kasting et Hart s'accordent toutefois pour considérer qu'en dehors de ces limites, les conditions climatiques hostiles condamneraient la vie à disparaître. Si cette idée est aujourd'hui généralement acceptée, cette affirmation ressemble plus à un postulat qu'à une hypothèse qui doit subir l'épreuve de la réalité.

Gaïa, la mère universelle

En 1972, le géophysicien James E. Lovelock (1919-2022) travaillait au Jet Propulsion Laboratory sur les possibilités de vie sur Mars. C'est à cette époque qu'il se demanda d'un point de vue anthropique si la vie ne jouait pas un rôle régulateur des climats.

En collaboration avec la microbiologiste Lynn Margulis (1938-2011) de l'Université de Boston, il imagina la Terre à l'image d'un organisme vivant, capable d'agir sur son environnement et de réagir à toute agression extérieure, les biota étant intimement couplés à leur environnement. Il baptisa sa théorie Gaïa[3].

Lovelock choisit ce nom suite à une discussion assez particulière qu'il eut avec le romancier William Golding qui mérite d'être rapportée.

Tout en discutant, raconta Lovelock, Golding pensait à la déesse grecque, fille du Khaos et soeur d'Eros, mère universelle de la Terre qui généra la mer Pontos et le ciel Ouranos, le seul capable de la couvrir entièrement.

Golding rappela à Lovelock combien la déesse avait une double personnalité, à la fois tendre envers son époux à qui elle donna les douze Titans, six hommes et six femmes, ainsi que les Cyclopes mais qui pouvait également être très brutale lorsque, lasse des étreintes brutales de son mari, elle demanda à Chronos de l'émasculer avec sa faucille ou à ses prétendants d'annihiler ceux qui s'opposaient à ses idées.

Ne faisant pas vraiment attention à ces "délicatesses" typiques de la mythologie grecque, Lovelock pensait en fait que Golding avait prononcé le mot anglais "gyre" (du grec "guros" signifiant "cercle") et, imaginant le cycle des saisons ou le comportement migrateur des oiseaux, il pensa que ce n'était pas une mauvaise idée. Tous deux continuèrent leur conversion jusqu'à ce Golding lui dise "je ne comprends pas le moindre mot de ce que tu me dis, Jim...". C'est ainsi que ce quiproquo sera finalement considéré comme un don du ciel par Lovelock car "on ne refuse jamais dit-il, un don comme celui-là d'un Maître du verbe comme Golding".

Plus tard Lovelock devait écrire: "je reconnais que le fait de considérer la Terre comme un être vivant était une idée purement pratique pour organiser les actions de la Terre. Je suis bien sûr en faveur de la théorie de Gaïa et j'ai passé plus de vingt-cinq années de ma vie avec l'idée que la Terre pouvait être vivante : non pas comme les Anciens la voyait - une déesse sensible capable de prédir l'avenir - mais vivante comme un arbre. Un arbre qui a une existence paisible, qui ne se déplace jamais sauf sous le souffle du vent, et qui converse sans fin avec la lumière du Soleil et la terre. En utilisant la lumière, l'eau et les nutriments minéraux il grandit et se modifie. Mais tout cela s'effectue si imperceptiblement, que pour moi le vieux chêne planté dans la pelouse est toujours le même que lorsque j'étais enfant."

L'idée exprimée par Lovelock avait déjà été introduite avant lui. En 1925, Alfred Lotka avait déjà avancé quelques idées sur le sujet en considérant clairement que l'évolution des organismes n'était pas séparée de l'évolution de leur environnement physique. Il existait selon lui un couplage entre les organismes et la biosphère.

L'image traditionnelle de la biosphère : un système thermodynamique complexe en interactions. Doc GC.

Aujourd'hui tout le monde accepte l'idée que la vie a profondément influencé notre environnement et qu'en contrepartie elle s'y est adaptée. La meilleure preuve que nous puissions donner est notre besoin d'oxygène qui fut un poison mortel pour les premiers organismes vivants sur Terre et l'est toujours, rappelez-vous l'effet germicide du peroxyde d'hydrogène (H2O2). La vie à son tour s'est adaptée et nul n'est besoin de vous rappeler la théorie de Darwin à ce sujet.

En 1927, Vernadsky se plaça sur le plan qualitatif en imaginant une interdépendance entre la végétation et le climat. Plus tard, en 1935 Kostitzin réalisa un premier modèle mathématique de la coévolution de l'atmosphère et des biota.

Selon ces "mini modèles" considérant des biosphères virtuelles, l'évolution de la Terre pourrait être considérée comme une série de bifurcations. Mais si la vie répond à la pression environnementale qui en échange réagit aux changements biologiques, la question de fond est de savoir quelle est l'importance de ces rétroactions ?

En première hypothèse, James Lovelock affirmait que les interactions entre les organismes et leur environnement étaient suffisamment fortes pour influencer l'évolution de la vie. Mais son explication fut mal reçue à l'époque pour ses implications téléologiques : toute chose serait-elle prédestinée ou la biosphère aurait-elle conscience de ses actes ?

Des critiques se sont alors demandés si la théorie de Gaïa ne devait pas être placée dans la même catégorie que les champs morphogéniques de Rupert Sheldrakes. Ainsi que nous l'avons vu à propos de la biologie, à l'image des conceptions holistiques de David Bohm, Sheldrakes imagine que l'Univers dans sa globalité est auto-organisé et "piloté" jusqu'au niveau subatomique par des champs spécifiques, comme la gravité et l'électromagnétisme, appelés dans ce contexte des champs morphogéniques.

Les biologistes évolutionnaires (néo-Darwinistes) W.Ford Doolittle et Richard Dawkins.

Mais en 1982, les néo-Darwinistes W.Ford Doolittle et Richard Dawkins défiaient Lovelock de démontrer que les organismes pouvait concerter leurs efforts, avançant l'idée qu'il n'existait aucune manière pour que l'évolution par sélection naturelle conduise à l'altruisme sur une échelle globale. Cette idée disaient-ils, signifierait que ces organismes sont capables de se projeter dans l'avenir et de planifier leurs actions. De telles capacités auraient été inscrites dans leur patrimoine génétique.

Pour nos biologistes, il était impossible d'imaginer de quelle manière les boucles de rétroactions dont parlaient Lovelock auraient pu évoluer pour parvenir à stabiliser un système Gaien. Doolittle et Dawkins considéraient également que si Gaïa ne pouvait pas se reproduire elle-même, elle ne pouvait être considérée comme vivante, quel que soit le sens donné à ce mot.

A consulter : Définition de la vie

Pour finir leur critique en règle, Doolittle et Dawkins clamaient que cette théorie n'était pas scientifique car il était impossible de la tester expérimentalement.

Pour taire ces critiques, Lovelock imagina de créer un modèle libre de tout déterminisme. Mais sachant combien les boucles de rétroactions sont nombreuses entre les organismes et leur environnement, il semblait de prime à bord n'y avoir aucun moyen de comprendre ces systèmes thermodynamiques très complexes.

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[1] Ce modèle fut remis à l'ordre du jour avec une étude concernant les étoiles de la Séquence principale. Lire J.Kasting, D.Whitmire et R.Reynolds, Icarus, 101, 1993, p108 – M.Hart, Icarus, 37, 1979, p351.

[2] M.Hart, Icarus, 33, 1978, p23 – M.Hart, Icarus, 37, 1979, p351.

[3] J.Lovelock, Atmospheric Environment, 6, 1972, p579 – J.Lovelock, Proceedings of the Royal Society of London, B, 189, 1973, p30 – J.Lovelock et L.Margulis, Icarus, 21, 1974, p471 – J.Lovelock et M.Whitfield, Nature, 296, 1982, p561 – J.Lovelock, "La Terre est un être vivant", Le Rocher, 1986.


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