L'ARTICLE DE L'ASTRONAUTE No.1 - Mai 1997



BIENTOT DES TOURISTES EN ORBITE AUTOUR DE LA TERRE ?

Par Serge CHEVREL, association Apollo25



En 1997, en 35 années de vols spatiaux habités, environ 350 hommes (et femmes) sont allés dans l'espace. Des privilégiés pour lesquels le fait d'etre sélectionné comme astronaute constitue deja toute une aventure en soi et demande de sérieuses références techniques et/ou scientifiques. Quand verra-t-on l'accès a l'espace se "démocratiser" au point de parler de tourisme dans l'espace pour le grand public? Par "tourisme dans l'espace" on ne considérera ici que des séjours brefs (quelques heures ou quelques jours) à bord de modules en orbite terrestre, la possibilité de séjours sur la Lune étant encore très lointaine. Alors qu'il y a encore quelques années, la question du tourisme spatial déclenchait des sourires, voire l'hilarit au niveau des compagnies aérospatiales, aujourd'hui, ces dernières commencent à discuter du potentiel commercial d'une telle entreprise. Actuellement, il y a un consensus international grandissant pour penser que dans un proche avenir, le transport en orbite terrestre basse (Low Earth Orbit: LEO) sera possible à des couts plus bas que ceux actuels. Ceci au point que les marchés conventionnels liés a l'espace tels que les communications deviendront plus rentables et que d'autres comme le tourisme dans l'espace pourraient le devenir encore plus...

Fondamentalement, on peut identifier trois raisons qui empèchent actuellement le développement du tourisme spatial:

  1. les règlements gouvernementaux,
  2. les vaisseaux spatiaux sont encore à développer,
  3. la communauté financière n'est pas encore totalement convaincue qu'il y a dans le tourisme spatial matière à réaliser des affaires.

Pour le premier point, si l'on prend comme exemple celui des Etats-Unis, les permis delivrés pour chaque lancement commercial sont donnés par un bureau qui est "l'Office of Commercial Space Transportation" (OCST), bureau qui est placé lui meme sous l'égide de la FAA (Federal Aviation and Administration). Pour l'instant, aucune clause ne prévoit de donner une autorisation pour le lancement commercial d'un engin spatial avec à son bord des passagers en tant que simples touristes et sur le point législatif, le chemin semble encore assez long pour qu'un jour l'OCST engage sa responsabilité et autorise une telle entreprise. Cependant, plusieurs organismes et associations travaillent dans ce sens aux Etats-Unis, au niveau des états et au niveau fédéral.

En ce qui concerne le deuxième point, les choses sont plus fondamentales car il faut obligatoirement passer par une forte réduction du cout du transport spatial en LEO, ce qui réclame de nouveaux concepts pour les lanceurs. Les études ménées ces dernières années indiquent que le concept d'un engin réutilisable à un seul étage entièrement propulsé par des moteurs fuseé (Single Stage To Orbit: SSTO) possède le plus fort potentiel pour réduire les couts de l'accès à l'espace (LEO). Le développement et la démonstration de la faisabilité de ce type d'engin spatial réutilisable (Reusable Launch Vehicule: RLV) fait actuellement l'objet d'un programme d'étude de la NASA en partenariat avec l'Air Force et l'industrie américaine. Il s'agit des programmes X-33 et X-34 dont nous parlerons bientot en détail dans "L'Astronaute" (C'est l'objet de l'article du No.2 !).

Pour ce qui est du troisième point, la communauté financière hésitera encore à s'engager dans le marché du tourisme spatial tant que la demande de la part du public ne sera pas franche. Qu'en est-il justement de l'intéret du grand public pour ce genre de voyage? En Aout et Septembre 1995, un sondage sur le tourisme spatial réalisé en Amérique du nord (Etats-Unis/Canada) a révélé que 60% des personnes interrogées étaient intéressées pour effectuer un séjour dans l'espace.


"We could be together,

walking on the Moon"
The Police.


Photo Nasa (AS1714522157)

L'enthousiasme pour ce genre de voyage provient surtout des jeunes, avec 75% d'intentions dans la catégorie des moins de 40 ans; mais de facon assez surprenante, on constate que cet enthousiasme est également partagé par 25% de la classe d'age allant de 60 a 80 ans... Les résultats de ce sondage sont identiques à ceux d'un sondage similaire réalisé en 1993 au Japon. La plupart des voyageurs potentiels dans l'espace souhaiteraient effectuer un séjour de plusieurs jours en orbite terrestre, typiquement de l'ordre d'une semaine. Enfin, parmi les personnes interrogées, 45% seraient pretes à payer l'équivalent de trois mois de salaire pour réaliser un tel voyage et 10% seraient meme prets à engager une somme équivalente à un an de leur salaire. Les sommes ainsi dépensées iraient de 10000 à 20000 dollars. Au passage, on peut s'interroger sur les motivations qui poussent ces personnes à aller dans l'espace.
Les sondages en question, réalisés auprès d'un très grand éventail de conditions sociales, ne le précisent pas. Il semble à priori normal de penser que parmi les personnes les plus intéressées par un voyage dans l'espace, figurent celles qui sont déjà très sensibilisées et passionnées par les activités passées et actuelles de l'homme dans l'espace, et que parmi ces personnes les motivations soient essentiellement d'ordre scientifique et technologique (expérimenter l'état d'apesanteur, réaliser des sorties extra véhiculaires, etc.). C'est d'ailleurs parmi cette catégorie de personnes, parmi les plus "acharnées" et parmi les "space activists" que l'on effectue le plus volontiers des sondages sur les intentions d'aller dans l'espace. Or si cette catégorie correspond à ce que l'on pourrait appeler le "noyau dur" des consommateurs potentiels, il semble qu'elle n'en forme pas la majorité.
Il apparait en effet qu'un grand nombre de personnes seraient intéressées par un voyage dans l'espace sans pour autant appartenir au "clan des supporters" de l'aventure spatiale, leurs motivations étant d'avantage d'ordre spirituel (méditation, philosophie, religion, etc.) que scientifique ou technologique.
Ainsi, c'est vraisemblablement parmi les personnes qui sont sensibilisées aux problèmes spirituels, sociaux, de santé ou d'environnement que l'on trouverait le plus grand potentiel pour effectuer des voyages touristiques dans l'espace. Or il semble que ces groupes soient souvent négliges lors des sondages réalisés par les compagnies aérospatiales lorsqu'il s'agit d'évaluer les potentialités des personnes interessées par un sejour dans l'espace. Cela méritait d'etre souligné et cela indique que le nombre de consommateurs potentiels pour un accès à l'espace est surement plus élevé que ce l'on croit généralement. Evidemment, s'agissant de partir dans l'espace, il peut y avoir de la part des personnes interrogées de grandes différences entre les intentions manifestées et le passage à l'acte. Néanmoins, si l'on considère que seulement 10% des voyageurs potentiels indiqués par les sondages passaient effectivement à l'acte, cela correspondrait tout de meme à un marché de plusieurs milliards de dollars pour l'Amérique du nord seulement. On se demande ce que les compagnies qui ont deja investi dans l'espace pour les communications ou autres attendent pour s'intéresser sérieusement au marché du tourisme spatial.


Comment augmenter l'intéret des compagnies aérospatiales et du grand public pour le tourisme spatial, et comment stimuler le développement de nouveaux moyens d'accès plus faciles à l'espace ?


"My view of our planet was
a glimpse of divinity."

Edgar Mitchell (USA).

(Photo Nasa,PIA00076, cliché Galileo)

En Mai 1996, fut officiellement crée le "prix X" ("X prize" en anglais) d'un montant de 10 millions de dollars pour récompenser le développement d'un moyen de transport privé dans l'espace pour le grand public. Par le biais de ce prix, le but de la "X Prize Foundation Inc." est d'accélérer la conception et mener à terme le développement privé de véhicules de type RLV à faible cout afin de disposer rapidement d'un accès à l'espace plus simple sur le plan commercial et de développer une industrie du tourisme dans l'espace. Les retombées directes seraient le développement d'un transport intercontinental de passagers et cargo. L'idée du prix X est inspirée de celle des prix alloués aux débuts de l'aviation, en particulier du prix Orteig de 25000 dollars, établi en 1919, qui était destiné `a récompenser le premier vol transatlantique, qui comme chacun le sait fut remporté par Charles Lindbergh avec le "Spirit of St-Louis", en 1927. Grace à ces prix, l'aviation fit un immense bon technologique. Le vol de Lindbergh prouva qu'un petit organisme (pour ne pas dire une petite équipe) de professionnels pouvait accomplir une tache équivalente à celle qui aurait du etre normalement supportée, au niveau financier et technique, par un organisme gouvernemental. En 1927, cette démonstration technologique frappa profondément les esprits et ouvrit la voie au transport aérien moderne. En effet, c'est à compter de la premiere traversée transatlantique que le grand public prit conscience que l'on pouvait voyager à travers le globe par des moyens aériens. Le prix X a pour but de susciter dans le public une révélation équivalente, à propos cette fois-ci du vol orbital.
L'idée du prix X apparait à la limite moins "farfelue" que celle du prix Orteig pour le premier vol transatlantique car pour le vol orbital la technologie est déjà existante et de nombreux humains ont déjà ouvert la voie. La compétition pour le prix X est ouverte aux compagnies privées de toutes nationalités. Mais y aura-t-il des compétiteurs ? Si l'on reprend l'exemple de l'aviation au début du siècle, ce sont les dotations par l'intermédiaire des prix qui ont suscité et donné l'élan necessaire pour faire sans cesse reculer les limites d'endurance, de vitesse et de distance des appareils aériens. Les prix ont toujours attiré et encouragé les aventuriers a accomplir de hauts faits en repoussant toujours plus loin les limites technologiques couramment admises, ceci malgré les risques parfois importants encourus. Lindbergh ne fut pas le seul à tenter la traversée de l'Atlantique, 9 autres compétiteurs avaient aussi réalisé des tentatives non réussies, tous stimulés par le prix qui était offert.

Seulement du fait qu'il existe, un prix suscite généralement une forte compétition et les efforts et les sommes dépensées par les participants dépassent souvent le montant du prix lui meme... Pour l'instant, 1 million de dollars ont été récoltés par la fondation du prix X et 14 équipes seraient déjàsur les rangs pour répondre aux objectifs assignés par la fondation. Des études de marché pour l e tourisme spatial sont de plus en plus souvent réalisées par des organismes été engagés ou non dans le domaine spatial. Des rencontres commencent à s'organiser sur ce sujet. Le concept d'une industrie du tourisme spatial est en train de faire son chemin, lentement, mais surement.
Alors il faut etre optimiste. Il faut encourager, soutenir et faire connaitre cette idée, en particulier auprès du grand public. C'est une chance d'ouvrir la voie à des occasions inespérées d'aller dans l'espace, dans un avenir qui ne serait pas si éloigné que cela ...


Sources bibliographiques :
Ad Astra (Janvier-Fevrier 1996);
Ad Astra (Mars-Avril 1996);
SpaceViews (No.5, Mai 1997);
X prize sur Internet: www.xprize.org/aboutus/home.html

Notes : Ad Astra est le magazine de la National Space Society (NSS);
SpaceViews est la lettre (courrier électronique) de "l'antenne " de Boston de la NSS, qui peut etre obtenue gratuitement à l'adresse suivante: MajorDomo@ari.net , en mentionnant dans le corps du message envoyé les mots "subscribe SpaceViews".
SpaceViews peut aussi etre consulté sur Internet à l'adresse: www.seds.org/spaceviews .


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