Par Serge CHEVREL, association Apollo25
Les lanceurs actuels destinés à délivrer des charges utiles en orbite terrestre basse (LEO: Low Earth Orbit; orbite a 200-400 km) sont formés d'éléments qui ne sont pas réutilisables. En effet, les différents étages des fusées classiques (aussi dénommées ELV: Expendable Launch Vehicle, lanceurs non réutilisables) sont autant de structures qui sont définitivement perdues lors de chaque vol. Seule la navette spatiale est composée d'un élément qui est entièrement réutilisable (l'orbiteur), les autreséléments tels que les boosters d'appoint à poudre et les réservoirs d'oxygène et d'hydrogène étant respectivement recyclés et perdus. Les lanceurs actuels représentent aussi des systèmes complexes qui nécessitent une "armée" de personnel pour les opérations de structuration et de lancement, que seuls des organismes gouvernementaux (non commerciaux) peuvent réellement assurer. Il résulte de tout cela des coûts très élevés, entre 10000 et 25000 dollars pour le kilogramme placé en LEO (par les fusées classiques: ELV ou navette). Notons au passage qu'actuellement le coût de chaque vol de la navette spatiale est de l'ordre de un milliard de dollars... (infrastructure et maintenance comprise).
La solution pour un accès en LEO moins coûteux semble passer par la mise au point d'un lanceur monoétage (SSTO: Single Stage To Orbit, littéralement "un seul étage en orbite") entièrement réutilisable (RLV: Reusable Launch Vehicle). La technologie actuelle devrait permettre une telle réalisation et depuis quelques annés tout un programme a été lancé, principalement aux Etats-Unis, pour développer un tel lanceur. Le profil type de ce dernier est celui d'un véhicule spatial qui décollera verticalement, atteindra l'orbite terrestre sans larguer aucun de ses composants, et qui retournera sur Terre, soit en planant comme la navette spatiale, soit de facon propulsé, l'atterrissage se faisant à la verticale à l'aide de retrofusés. Dans ce dernier cas, le véhicule pourrait à la limite décoller et se poser depuis n'importe quel aéroport puisqu'il n'aurait pas besoin d'une longue piste pour son atterrissage, ce qui réduirait encore les coûts d'infrastructures. Ce lanceur monoétage aura une forme conique et ne disposera pas d'ailes comme la navette, mais de petits ailerons mobiles (ou des "canards") pour les manoeuvres lors du retour sur Terre. Il ne comprendra aucun réservoir externe ni boosters d'appoint pour le décollage.
L'étude et la réalisation d'un premier
véhicule monoétage expérimental, le DC-X,
a été engagée dès 1990 par le SDIO
(Strategic Defense Initiative Office),
avec comme contractuel McDonnell Douglas Space Systems
Company (MDSSC).
Le DC-X était en fait une version reduite (1/3),
incapable d'atteindre une orbite terrestre, du
véritable orbiteur baptisé DC-Y (ou
Delta Clipper) qui aurait du voir le jour en 1999.
Mais le programme Delta Clipper était "mort
né" car à l'époque, on savait
pertinemment que le SDIO ne pouvait pas
budgétairement mener à lui seul les
dernières phases de son développement.
L'étude de ce premier SSTO fut reprise
par la NASA en 1995, dans le cadre du développement
d'un RLV qu'elle s'était fixée en 1993, sous le
nom de DC-XA (ou "Clipper Graham"), avec toujours
comme contractuel McDonnell Douglas. Cet engin de
18.8 T au décollage, avait une forme conique,
avec une hauteur de 13m pour un diamètre de 4 m
à la base. Il était propulsé par 4 moteurs
cryogéniques LRL 10A-5 de Pratt&Whitney. En 1996,
la version DC-XA effectua 4 vols de courte durée
(2mn20s au maximum), atteignant une altitude maximale
de 3100 m (la version DC-X avait effectué 8 vols
similaires entre 1993 et 1995). Le DC-XA fut malheureusement
perdu à la suite d'un stupide incident survenu
lors de son quatrième vol le 31 juillet 1996 sur
la base de White Sands au Nouveau Mexique. Tandis que
l'engin se posait en douceur, l'un des 4 trains d'atterrissage,
sur lequel on avait oublié d'effectuer une banale
connexion, ne s'est pas déployé... L'engin a
alors basculé et a explosé en heurtant le sol.
Bien que les vols du DC-X et du DC-XA avaient
demontré la faisabilité du décollage
et surtout de l'atterrissage à la verticale, ainsi
qu'une bonne manoeuvrabilité lors du déplacement
en translation et un bon maintient d'attitude du vehicule,
la NASA n'a pas retenu l'évolution du DC-XA en RLV.
Elle a en effet abandonné le concept d'un atterrissage
à la verticale pour revenir à celui plus
classique d'un retour en planant et en se posant sur une
piste, comme la navette.
Le programme SSTO et le développement d'un RLV ont été poursuivis avec le programme X-33, lancé par la NASA en 1995 en partenariat avec l'Air Force et l'industrie américaine. La aussi, le vehicule monoétage X-33 est en fait le précurseur, à l'échelle 1/2 (53% exactement), du "véritable" RLV baptisé "VentureStar", qui devrait être opérationnel en 2003 en version entièrement automatique, et vers 2004-2005 en version habitée, remplacant alors la flottille des navettes spatiales actuelles. C'est la firme Lockheed Martin qui fut sélectionnée en juillet 1996 par la NASA comme maitre d'oeuvre pour réaliser le X-33. Pour ce projet, Lockheed Martin était en compétition avec McDonnell Douglas, qui présentait une nouvelle version du DC-XA, et Rockwell/Northrop Grumman. Le tableau ci-dessous donne quelques unes des caractéristiques techniques du X-33 et du VentureStar, comparées à celles de la navette spatiale.
SYSTEME |
STS |
VENTURESTAR |
X-33 |
---|---|---|---|
Longueur |
56m |
38m |
20.4m |
Envergure |
24m |
39m |
20.7m |
Poids au décollage |
2040T |
990T |
124T |
Type d'ergols |
LH2/LOX + solide |
LH2/LOX |
LH2/LOX |
Poids en ergols |
1725 T |
875 T |
96 T |
Poids à vide |
270 T |
89 T |
29 T |
Système principal de propulsion |
3 SSME |
7 RS2200 |
2 J-2S |
Poussée au décollage |
2900 T |
1365 T |
186 T |
Vitesse maximale |
orbitale |
orbitale |
Mach 15 |
Charge utile (orbite à
185 km inclinée |
23 T |
26 T |
- |
Charge utile (taille) |
4.6x18.3 m |
4.6x13.7 m |
1.5x3 m |
La conception du X-33 fait appel à beaucoup
de nouveautés technologiques, dont nous
n'évoquerons ici que les plus importantes.
Tout d'abord, un système de propulsion
dit "aerospike linéaire", mis au point par
Rocketdyne. Il n'est pas possible de développer
dans cet article le principe de ce type de propulsion
("l'Astronaute" traitera prochainement de ce sujet en
détail). Pour l'instant disons qu'il s'agit d'un moteur
ouvert à l'atmosphère (pas de tuyère
proprement dite) qui permet un ajustement automatique
de son rendement en fonction de l'altitude lors de
l'ascension; une tuyère n'ayant en effet un
rendement maximal que pour une altitude bien
déterminée. On peut noter que le
système de propulsion du X-33 est constitué
de deux moteurs cryogéniques (LOX et LH2) J2-S,
un moteur dérive du célèbre J-2 de
la Saturne 5, qui a propulsé les vaisseaux Apollo
vers la Lune! Les essais statiques de ces moteurs ont
été jusqu'à présent
satisfaisants, mais il semblerait que les essais en vol
jusqu'à Mach3 du moteur aerospike à
échelle réduite (1/10ème) sur
l'avion SR-71 (le fameux "Blackbird" de Lockheed),
n'ont toujours pas été effectués.
Une autre nouveauté est l'utilisation de
matériaux métalliques au lieu de tuiles
en ceramique (cas de la navette), pour le système
de protection thermique (TPS: Thermal Protection System)
lors de la rentrée dans l'atmosphèere.
Cette utilisation est possible en raison de la forme
même du VentureStar et parce que ce dernier aura une
rentrée "moins chaude" que celle de la navette.
Il s'agit de carbone-carbone pour le nez de l'engin
(la partie la plus sensible...) et de panneaux en
alliage de titane pour les parties portées
à 700 degrés C et en alliage special
(Inconel 617) pour celles portées à
900-1000 degrés C. Ces matériaux du TPS,
qui ont déjà été testés
lors d'un vol de la navette Endeavour en Mai 1996,
demanderont une maintenance beaucoup plus réduite
et surtout moins coûteuse que dans le cas de la navette.
Enfin toute l'avionique et les systèmes de vol
ont été repensés pour le X-33. En
effet, tous les systèmes de l'engin qui demandent
un controle entre chaque vol seront placés de
manière la plus accessible possible (près
des ouvertures existantes comme la baie pour la charge
utile, les trains d'atterrissage, etc.), ceci de facon
à minimiser les temps et les coûts de toutes les
opérations à effectuer. Pour la maintenance,
on se rapprocherait ainsi des procédures en cours
sur les avions classiques. La durée de "remise en
état" du VentureStar entre chaque vol devrait être
de quelques jours seulement...
Lockheed Martin doit réaliser le X-33 en trois
ans seulement à compter de sa sélection en Juillet
1996. Le premier vol est prevu en Mars 1999. Il sera suivi
d'une série de 15 vols à une altitude de 80 km
et à une vitesse de Mach 15, pour tester la
rentrée dans l'atmosphère, ceci entre les mois
de Mars et Décembre 1999... C'est à l'issue de
ces essais que sera prise la décision de
développer ou non le "VentureStar", qui devra
également être réalisé en moins de 3 ans,
et être opérationnel pour des utilisations
commerciales vers 2005.
Cependant, face aux innovations et aux challenges
technologiques que demande le dveloppement d'un tel
lanceur, le programme X-33 prend déjà du
retard. En Juin dernier, Lockheed Martin annoncait que
des problèmes étaient rencontrés
concernant d'une part la stabilité
aérodynamique de l'engin à grande vitesse
(problèmes détectés en soufflerie) et
d'autre part son poids à vide qui s'avère trop
élevé (de près de 20%) par rapport à
ce qui était prévu initialement.
Ainsi, des décisions concernant le design du X-33,
importantes pour l'avancement du programme, qui auraient
du être arrêtées courant Juillet, ont ete reportées
à cet automne. Il est probable que cela reporte la
date du premier vol en Juillet 1999. Mais on reste encore
"dans les temps": quel programme spatial n'a-t-il jamais
pris du retard à un moment ou à un autre ?
A cet egard, s'il règne à la NASA et
dans les entreprises industrielles concernées par
le projet, un optimisme quant à la réussite
du programme X-33, les avis sont assez partagés
dans d'autres milieux sur la réalisation des
objectifs annoncés dans le cadre du programme
SSTO en general, à savoir: une réduction
d'un facteur 10 du coût du kg placé en LEO (soit
2000 à 10000 dollars) et la réalisation de
challenges technologiques importants tels que la
mise au point d'un nouveau système de propulsion,
de nouvelles structures très légères,
de nouveaux éléments de protection thermique
et de nouveaux concepts de lancement et de maintenance
à faibles coûts. L'approche SSTO est parfois
jugée trop agressive et trop ambitieuse sur le plan
technologique, et des alternatives ont été
proposées comme le développement d'un RLV
plus conventionnel à deux étages (TSTO: Two
Stage To Orbit), jugé réalisable à plus
court terme avec une technologie moins avancée (voir
par exemple "Launchspace", vol.2, No.1, 1997, et
"Ad Astra", vol.9, No.3, May-June 1997).
Développer un tel programme en parallèle
serait en effet une facon de ne pas placer tous ses oeufs
dans le même panier... Mais ces solutions ont recu et
recoivent encore peu d'échos, et c'est le programme
X-33 ATD (Advanced Technology Demonstrator) qui a
été lancé et qui doit faire la preuve
de la faisabilite d'un RLV monoétage, en
l'occurence le VentureStar.
On procède quand même par étapes car il existe un programme de RLV qui constitue pourrait-on dire un "pont" entre le DC-XA et le X-33. Il s'agit du programme X-34 de la NASA et Orbital Science Corporation (OSC). Débuté en Aout 1996, il a pour objectif de tester les "elements techniques clés" pour réaliser un RLV. Le X-34 sera un engin expérimental non piloté beaucoup plus petit que le X-33 (18 m x 8 m). Il sera lancé à partir d'un avion L-1011 de OSC. Son moteur d'une poussée de 27 T (LOX et kerosene) l'emmènera à une altitude d'environ 75 km à Mach 8. Ensuite, il se posera seul sur une piste. Une série de 25 vols est prévue à partir de fin 1998.
Enfin, pour terminer de facon non exhaustive avec les "X", signalons le développement actuellement par la NASA de l'engin experimental X-38 (anciennement baptisé X-35 et X-CRV). Ce programme a été initialement engagé pour assurer un retour rapide sur Terre des astronautes depuis la Station Spatiale Internationale Alpha qui doit voir le jour à partir de 1998-1999. Il s'agit d'un type de vaisseau spatial que l'on désigne sous le nom de CRV (Crew Return Vehicle: engin pour le retour d'un équipage, une sorte de chaloupe de sauvetage). Il devrait être développé très rapidement pour être opérationnel d'ici 2002. Le design du X-38 n'est pas encore vraiment figé, car avec la participation de l'ESA (Agence Spatiale Europeenne), il pourrait évoluer en vaisseau de transfert (CTV: Crew Transfer Vehicle) pour également amener des astronautes vers la Station orbitale. Le X-38 constituerait alors une véritable petite navette qui pourrait lancer un équipage de trois astronautes et assurer un retour jusqu'à six astronautes. Le vaisseau de 9.5 T sera lancé par la navette actuelle (un premier vol orbital à bord de cette dernière étant prévu pour janvier 2001) ou par des ELV tels que Ariane 5, Titan 4 ou une Zenit. Le premier vol pilote est programmé pour 2005. Sur le plan technologique, le X-38 devrait plutot être un engin "classique", mais il n'est pas dit qu'il bénéficie des acquis technologiques en cours de développement pour le X-34 et le X-33. Là aussi, nous suivrons dans "L'Astronaute" l'évolution de cet engin.
Et les lanceurs classiques (ELV) dans tout cela ? Ils
essaient aussi d'évoluer pour réduire les coûts
de l'accès en LEO, avec le développement des
EELV (Evolved Expendable Launch Vehicle: des ELV
évolués). L'idée est de récuperer les
parties qui sont les plus onéreuses à bord du
lanceur, comme les moteurs, les pompes et turbines,
l'electronique..., pour les réutiliser dans un ou
plusieurs vols suivants. Un programme de réalisation
d'un EEFV est dirigé par l'Air Force et ce sont des
firmes comme Boeing, McDonnell Douglas et (encore) Lockheed
Martin qui planchent actuellement sur ce projet et qui sont
en compétition pour un contrat qui se décidera
en Juin 1998 pour passer aux phases de réalisation et
d'essais du lanceur.
La navette spatiale n'est pas en reste dans la course
aux réductions des coûts de lancement puisque la firme
Michoud Space Systems est en train de travailler à
la mise au point, en remplacement des boosters à poudre
actuels, de nouveaux boosters liquides (LFBB: Liquid Fly Back
Booster), qui comme leur nom l'indique, reviendront de facon
automatique se poser sur sur piste après leur
fonctionnement, afin d'être à nouveau
réutilisés. Ces nouveaux boosters, en plus de
réduire de facon sensible les coûts, devraient être
plus performants et plus sûrs que les boosters actuels.
On se souvient en effet que ces derniers étaient
à l'origine de l'accident de Challenger en 1986.
Depuis quelques temps, les choses sont donc en train d'évoluer rapidement en ce qui concerne les moyens de transport spatiaux pour un accès plus facile et plus rentable en orbite terrestre basse (LEO). Comme l'a dit un jour Buzz Aldrin, "notre destin dans l'espace est fortement lié aux développements des lanceurs". Si les objectifs que l'on se fixe actuellement en matière de dévelopement de RLV se trouvaient atteints d'ici quelques années, alors cela constituerait un tournant décisif dans l'histoire de la progression de l'homme dans l'espace.
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