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Les galaxies les plus lointaines

Une partie du champ ultra profond (UDF) de la constellation du Fourneau photographié en 2003 par le Télescope Spatial Hubble dans le cadre du programme HUDF. Le temps d'intégration total est de 11.3 jours sous filtres I-RGB. L'image couvre 3' carré. Les chercheurs ont identifié 28 parmi plus de 500 jeunes galaxies rouges évoluant dans un Univers âgé de moins d'un milliard d'années (à plus de z ~ 6). De futurs cibles pour le JWST. Document NASA/ESA/UCSC, voir aussi JWST

Aux frontières de l'Univers (I)

Grâce à l'astronomie spatiale et les grands télescopes équipés de moyens toujours plus sophistiqués pour sonder les profondeurs de l'Univers, depuis les années 2000 les astrophysiciens ont eu l'occasion d'étudier non seulement le ciel profond en lumière blanche mais également à travers tout le spectre des rayonnements, des ondes radio aux rayons X et gamma en passant par les UV et l'infrarouge.

Au cours de leurs recherches, les astrophysiciens ont découvert des centaines de "Petits Points Rouges" (Little Red Dots ou LRD) à des redshifts compris entre 3 < z < 13.3, c'est-à-dire une distance propre (voir plus bas) comprise entre 11.5 et 13.4 milliards d'années-lumière, c'est-à-dire évoluant dans un Univers âgé entre 2.1 milliards et ~0.3 milliard d'années, une époque encore inaccessible aux télescopes à la fin du XXe siècle.

L'étude de ces LRD a révélé qu'il s'agit de galaxies à noyau actif (AGN) compactes et poussiéreuses mais d'un type particulier abritant déjà un trou noir supermassif. On y reviendra en détails.

A partir de z ~ 7, une distance propre supérieure à 12.9 milliards d'années-lumière, nous pénétrons également dans l'univers primitif où les premiers objets, galaxies et quasars, présentent des propriétés physiques et chimiques que ne possèdent plus les objets nés ultérieurement, leur matière et leur combustible ayant été recyclés tandis que leur activité s'est progressivement ralentie et stabilisée.

C'est l'époque de l'ère stellaire des nuages de gaz obscurs, de la réionisation de l'hydrogène par les protogalaxies, les premiers quasars et les étoiles hyperchaudes de Population III issues directement de la recombinaison.

C'est dans ce monde très éloigné de notre univers actuel, tant dans l'espace que par sa nature, que les astronomes ont découvert les galaxies les plus lointaines dont nous allons passer en revue quelques individus emblématiques. Mais auparavant, une précision s'impose.

Décalage Doppler et distance des galaxies

Dans la plupart des publications scientifiques destinées au public, les auteurs ont l'habitude de simplifier les explications pour les rendre plus compréhensibles mais en faisant cela ils créent des ambiguïtés entraînant parfois des confusions dans l'esprit des lecteurs. C'est en particulier le cas de la distance des galaxies. Aussi, pour éviter toute confusion, dans beaucoup d'articles scientifiques les auteurs ne citent que le décalage Doppler (z) sans préciser la distance des galaxies ou indiquent une valeur en années-lumière sans ajouter le mot "distance", ce qui est également la règle sur ce site.

Nous avons expliqué à propos de la Création de l'Univers et dans la théorie du Big Bang que dans un Univers de géométrie homogène et isotrope (modèle FRW), grâce à un changement de coordonnées, en tenant compte du facteur d'échelle qui détermine l'expansion de l'Univers et des paramètres cosmologiques actuels (densité de matière, constante cosmologique, paramètre de Hubble, etc.), à partir du décalage Doppler d'une galaxie on peut déterminer sa distance actuelle ou distance comobile (ou comobile radiale, c'est à dire la distance qui nous sépare de cette galaxie, mesurée le long de la ligne de visée), généralement symbolisée par χ.

Document T.Lombry.

Ainsi, quand on lit qu'une galaxie est située à z = 11.0 soit 13.3 milliards d'années-lumière, c'est exact, à condition de ne pas ajouter le mot distance ou de référence au Soleil ou à la Voie Lactée, auquel cas la valeur serait fausse. En effet, il faut comprendre que c'est la distance à laquelle elle se trouvait au moment où nous avons capté sa lumière, c'est ce qu'on appelle le temps de regard (loopback time) ou distance (de mouvement) propre qui est la distance qui serait mesurée si l'expansion de l'Univers était stoppée et si nous pouvions mesurer directement la distance, sans tenir compte de l'expansion de l'Univers. Autrement dit, si la courbure de l'Univers était nulle (k=0), la distance propre serait égale à la distance comobile. La distance propre n'est donc pas sa distance réelle, actuelle.

Comme illustré à gauche, l'effet de l'expansion de l'Univers est peu sensible à courte distance de la Voie Lactée où les distances comobile et de mouvement propre convergent. Ainsi, tant que z < 0.23, la différence entre les deux types de distance ne dépasse pas 10% (2.76 contre 3.07 milliards d'années-lumière) alors qu'à z = 5 la différence atteint le double (12.53 contre 25.90 milliards d'années-lumière) et le triple à z = 80 (13.697 contre 41.45 milliards d'années-lumière). La distance propre suit une courbe asymptotique jusqu'au Big Bang alors que la distance comobile est exponentielle.

En résumé, pour notre galaxie située à z = 11, sa distance propre est de 13.3 milliards d'années-lumière. Pour éviter toute confusion, comme le font certains auteurs dans les articles académiques, on peut aussi bien ne pas donner sa distance mais dire que cette galaxie évolue dans un Univers âgé de 419 millions d'années ou qu'on la voit telle qu'elle était 419 millions d'années après le Big Bang[1].

Alors qu'elle est la distance réelle de cette galaxie ? Nous la voyons aujourd'hui mais en réalité sa lumière l'a quittée il y a 13.3 milliards d'années. Entre-temps, la galaxie s'est éloignée en vertu de l'expansion de l'Univers. Sa distance réelle (d) ou comobile dépend de son décalage Doppler (z), de la vitesse de la lumière (c) et des paramètres cosmologiques, dont la constante de Hubble Ho, (~70 km/s/Mpc), la densité actuelle de matière Ωm (~0.3) et la densité actuelle de l'énergie sombre ΩΛ (~0.7) qui sont reliés dans la relation suivante :

En réalité, aujourd'hui cette même galaxie se situe bien plus loin, à 32.16 milliards d'années-lumière, il s'agit de sa distance comobile (ou comobile radiale). Généralement cette distance n'est jamais mentionnée dans les publications (pas plus que sur ce site). Les calculettes suivantes permettent de calculer le temps de regard et la distance comobile.

Calculettes : Cosmological Calculator (modèle ΛCDM)

CosmoCalc, Edward L.Wright, UCLA

Convertisseur de magnitudes

Pour rappel, la loi de Hubble-Lemaître s'applique uniquement aux objets sous l'effet de l'expansion de l'Univers et donc affichant des vitesses positives par rapport à la Terre (s'éloignant de nous). Dans le cas d'un objet dont la vitesse est négative, comme la galaxie M31 d'Andromède, on ne peut pas utiliser la relation ci-dessus ou la simple la loi de Hubble-Lemaître. Il faut lui appliquer d'autres techniques comme les "chandelles standards".

Voyons à présent quels sont les moyens mis à disposition des astronomes pour observer et analyser ces galaxies lointaines.

Les outils à disposition des astronomes

Nous avons décrit dans l'article consacré aux outils pour sonder l'univers quels sont les divers moyens dont disposent les astronomes pour étudier l'univers, du télescope optique aux moyens informatiques en passant par le radiotélescope et le spectrographe intégral.

Nous allons à présent décrire le cas particulier de l'étude des galaxies dites à haut redshift, c'est-à-dire les plus éloignées dans l'Univers qui requièrent les instruments les plus puissants et les plus sophistiqués. Décrivons pour commencer chronologiquement les différents programmes d'études ou sondages déciés au ciel profond.

1. Les sondages

Le sondage SDSS

Le sondage SDSS (Sloan Digital Sky Survey) fut le premier sondage d'envergure de l'histoire de l'astronomie. Il fut imaginé vers 1984 par un consortium d'experts des universités de Washington, Princeton et du Nouveau Mexique. Le projet obtint son financement en 1991 et les premières sessions débutèrent en 2000 au télescope de 2.5 m de l'Observatoire d'Apache Point installé au Nouveau-Mexique. Ce premier projet fut divisé en deux sondages : SDSS-I entre 2000-2005 et SDSS-II entre 2005-2008.

Au cours de ses 8 années d'exploitation, le SDSS enregistra des images multi-spectrales représentent 140 TB et des redshifts pphotométriques et spectroscopiques) des objets du ciel couvrant plus de 25% de la voûte céleste et créa des cartes tridimensionnelles contenant plus de 930000 galaxies et plus de 120000 quasars. Ces Big Data furent rassemblées dans la distribution DR7.

Par la suite ce sondage fut complété par le SDSS-III entre 2008 et 2013 qui publia la DR10 qui comprend des spectres infrarouges et couvre 35% du ciel. Le SDSS-III continua à rassembler des données jusqu'en 2014 puis le sondage SDSS-IV prit la relève jusqu'en 2021, aboutissant à la distribution DR17. Elle comprend notamment un retraitement des photos et spectres du SDSS Legacy Survey (le SDSS-I et une partie du SDSS-II).

A voir : Largest Sky Map Revealed: An Animated Flight Through the Universe

A flight through the Universe by SDSS 3D (version 3D anaglyphe)

A consulter : SDSS SkyServer - Sky-Map (Wikisky)

Le ciel profond du sondage SDSS centré sur l'amas de la Vierge tel qu'il est accessible en ligne dans Sky-Map.

C'est en juillet 2020 et après 20 ans de travail que les astrophysiciens du SDSS publièrent la première carte 3D détaillée de l'univers, permettant d'explorer 11 milliards d'années de l'histoire de l'univers.

Le SDSS atteint la magnitude +23.3 sous filtre g (483 nm). Les objets enregistrés présentent un redshift moyen de z = 0.1 soit une distance propre de 1.3 milliard d'années-lumière mais il comprend également des galaxies rouges lumineuses jusqu'à z = 0.7 et des quasars au-delà de z = 6 soit une distance propre de 12.78 milliard d'années-lumière.

On reviendra sur les résultats du SDSS à propos des amas de galaxies, des quasars et de la structure de l'Univers.

Le sondage DESI

Le sondage DESI Legacy Imaging Survey (Dark Energy Spectroscopic Instrument) utilisa initialement le télescope Nicholas U. Mayall de 4 m de diamètre de l'Observatoire National du Kitt Peak (KPNO) installé en Arizona. Il s'agit d'une collaboration internationale. DESI est opérationnel depuis 2019.

Au cours de son exploitation, DESI a produit un catalogue du ciel extragalactique optique (visible et IR) visible depuis l'hémisphère nord dans trois bandes optiques (g à 486 nm, r à 621 nm et z à 868 nm) et quatre bandes infrarouges. La couverture du ciel est comprise entre les déclinaisons de -18° à  +84° (|b| > 15° en coordonnées Galactiques).

La neuvième et dernière publication (DR9) des données fut publiée en 2021. Le résultat est la création de la plus grande carte bidimensionnelle du ciel en termes de couverture du ciel, de sensibilité et du nombre total de galaxies cartographiées. La carte couvre la moitié du ciel et comprend plus de 1.6 milliard de galaxies et plusieurs millions de quasars.

A voir : DESI Legacy Imaging Survey (DR9, jan 2021)

(carte contenant plus d'un milliard de galaxies)

A gauche, l'amas de la Vierge tel qu'on peut l'observer dans la carte du ciel en ligne DESI DR9 (unWISE W1/W2 NEO6). A droite, le groupe du Septtete de Copeland situé à ~421 millions d'années-lumière dans la constellation du Lion photographié en optique par le télescope de 4 m du KPNO et intégré à la carte DESI. A comparer avec cette image LRGB obtenue par Adam Bock avec le télescope RCOS de 81 cm de l'observatoire du Mont Lemmon en Arizona. Documents NOIRLab/DESI.

La nouvelle carte est le résultat d'un projet ambitieux qui dura 6 ans impliquant 1405 nuits d'observations au foyer de trois grands télescopes, des années de données enregistrées par les télescopes spatiaux et la collaboration de 150 observateurs et 50 autres chercheurs du monde entier. La carte totalise 4.3 millions d'images qui représentent 1 pétabyte de données (1015 octets) et 100 millions d'heures de processeur sur le superordinateur "Cori", un Cray XC-40 d'environ 30 PFLOPS exploité depuis 2017 par le Centre national de calcul scientifique de recherche énergétique (NERSC) du Berkeley Lab.

La carte fut réalisée en compilant des images optiques prises par la caméra Mosaic3 du télescope Mayall de 4 m précité et par la caméra DECam du télescope Victor M. Blanco de 4 m de l'Observatoire Interaméricain de Cerro Tololo (CTIO), complétées par des images IR du télescope spatiale WISE (Wide-field Infrared Survey Explorer) de la NASA. La carte contient également les données du sondage BASS (Beijing-Arizona Sky Survey) réalisé avec la caméra 90Prime installée sur le télescope Bok de 2.3 m du KNPO de l'Université de l'Arizona. Les données furent réduites au centre NERSC du Berkeley Lab. Le programme fut codirigé par Arjun Dey du projet DESI dans le cadre du programme NOIRLab (National Optical-Infrared Astronomy Research Laboratory) de la NSF.

Mais les astronomes ne se sont pas arrêtés à ce résultat et ont déjà lancé un nouveau projet de cartographie 3D du ciel profond. Les astronomes de la collaboration DESI ont sélectionné 35 millions de galaxies et 2.4 millions de quasars jusqu'à z ~ 4 soit environ 1.6 milliard d'années après le Big Bang pour une étude plus approfondie avec DESI afin de construire la plus grande carte 3D jamais réalisée grâce au superordinateur du NERSC.

DESI prendra également le spectre de chaque objet céleste. L'enregistrement de ces spectres est un autre défi pour lequel les spécialistes ont fait appel à un réseau de 5000 robots automatisés pivotants, chacun portant une fibre optique pointant sur une galaxies individuelle afin d'enregistrer en une seule exposition le spectre de 5000 galaxies.

Le nouveau projet est dirigé par le KPNO. Il débuta le 15 mai 2021 et durera 5 ans. Les chercheurs espèrent que les résultats fourniront de nouvelles informations sur la mystérieuse énergie sombre qui semble à l'origine de l'expansion accélérée de l'Univers.

Selon Adam Bolton, directeur du Community Science and Data Center de NOIRLab, "Pour résoudre certains des plus grands mystères de la physique fondamentale, aujourd'hui nous sommes poussés à créer d'énormes bases de données d'étoiles et de galaxies, qui à leur tour permettent une nouvelle approche de l'exploration de données et de faire de nouvelles découvertes astronomiques."

Ensuite, après avoir constaté à quel point le Télescope Spatial Hubble (HST) mis en orbite en 1990 était performant (après avoir corrigé sa myopie), dans les années 2000 de nombreuses équipes d'astronomes ont voulu mener leurs propres recherches au moyen de ce télescope et d'autres mis en orbite, ce qui conduisit au lancement de nombreux sondages, avec pour ainsi dire pratiquement un sondage par sujet d'étude et autant de catalogues spécifiques qui se comptent aujourd'hui à plus d'une centaine pour les objets du ciel profond, sans compter les catalogues stellaires ou propres à la Voie Lactée. On y reviendra.

Le sondage GOODS

Le sondage GOODS (Great Observatories Origins Deep Survey) combine les moyens des plus grands télescopes spatiaux Hubble, Spitzer, Chandra, Herschel et XMM-Newton, aux outils des grands observatoires terrestres tels ceux de l'ESO (VLT/ISAAC en bandes J, H, K, VIMOS en bande U, R, IR moyen et visible) et de la NOAO dans le but de sonder l'Univers profond à la recherche des émissions les plus faibles à travers le spectre électromagnétique.

Pour faire un jeu de mots, l'astrophysicien Mauro Giavalisco de l'Université du Massachusetts à Amherts déclara que l'acronyme GOODS (les marchandises ou les biens) fut également choisi parce que "we wanted to deliver the goods" (nous voulions livrer les marchandises, c'est-à-dire les enregistrements obtenus par ces instruments) afin d'obtenir l'image la plus compréhensive du passé de l'Univers.

Une petite région du ciel profond de l'hémisphère sud photographiée par le Télescope Spatial Hubble dans le cadre du sondage GOODS. A gauche, une mosaïque d'images HD (le fichier de 18 mégapixels occupe 8 MB) prises avec la caméra ACS en 2004 et WFC3 en 2010. Le champ s'étend sur 10' soit un tiers du diamètre apparent de la Lune. L'image comprend environ 7500 galaxies identifiables dont les plus rouges se situent à environ 13 milliards d'années-lumière. A droite, une mosaïque de trois panneaux (la partie gauche est dans le tiers supérieur) publiée en 2016 (fichier de 16 MB). Documents NASA/ESA/STScI et al. et NASA/ESA/GOODS et al.

La première ébauche de GOODS remonte à 2001. Les astronomes avaient découvert depuis quelques années une petite zone dans la constellation de la Petite Ourse où le ciel est particulièrement dépourvu d'étoiles ou de galaxies proéminentes. Une zone similaire se trouve dans le ciel de l'hémisphère sud en direction du Fourneau et connue sous le nom de "champ ultra profond" ou UDF (Ultra Deep Field). Ces deux régions furent nommées les champs GOODS North (GOODS-N) et GOODS South (GOODS-S). Malgré leur insignifiance apparente observée à faible grossissement, leur exploration allait redéfinir notre compréhension du jeune Univers.

Le sondage GOODS débuta en 2004 avec l'observation des lentilles gravitationnelles. Mais ce n'est qu'à partir de 2008 ou 2009 selon les télescopes que les astronomes eurent réellement accès aux données réduites (pouvant directement servir à l'analyse) des différents télescopes.

GOODS recherche toutes les traces de la formation et de l'évolution des galaxies à travers les temps cosmiques et cartographie l'histoire de l'expansion de l'Univers grâce à la spectroscopie des supernovae à haut décalage Doppler.

Le sondage GOODS couvre un champ d'environ 320 minutes d'arc carré réparties entre l'hémisphère nord (HST) et l'hémisphère sud (Chandra). Le télescope spatial infrarouge Spitzer de 85 cm de diamètre apporte toute sa finesse pour l'observation des objets les plus lointains entre 3.6 et 24 microns, tandis que le Télescope Spatial Hubble se focalise sur les images optiques (visibles) en haute résolution, l'observatoire Herschel étant dédié à l'observation du ciel profond dans l'infrarouge lointain entre 100 et 500 microns. Enfin, les télescopes terrestres complètent ces données par l'imagerie et la spectroscopie.

A gauche, une photo du champ ultra profond (UDF) de la constellation du Fourneau photographié en 2003 par le HST dans laquelle les chercheurs ont identifié cinq galaxies situées entre z = 4.00 et z = 5.76 soit à des distances propres comprises entre respectivement 12.16 et 12.72 milliards d'années-lumière. Document NASA/ESA. A droite, le même champ avec à gauche, l'image (plus floue) obtenue par l'amateur Rolf Olsen après ~60 heures d'expositions cumulées au foyer d'un télescope de 317 mm de diamètre, à droite celle du HST. Environ 190 galaxies ont été identifiées par Olsen à partir de la base de données VizieR. Leurs magnitudes sont comprises entre ~20 et 25, les plus éloignées étant à une distance propre proche de 12 milliards d'années-lumière. Chaque agrandissement comprend le numéro de catalogue HUDF, le décalage vers le rouge et la distance propre.

C'est notamment grâce au sondage GOODS qu'on découvrit la première galaxie massive à z = 6.5 en 2005 et la première galaxie à z = 11 en 2016 (GN-z11, mais qui s'avéra finalement un peu plus proche).

L'une des photos du champ ultra profond du Fourneau photographié en 2006 par le HST ou HUDF (Hubble Ultra Deep Field) est présentée ci-dessus. Si on extrapole le nombre de galaxies visibles dans ce champ, la seule zone UDF du Fourneau contient 23000 galaxies et l'ensemble du ciel contiendrait plus de 2.5 milliards de galaxies visibles. Mais ce nombre est encore très sous-estimé.

Grâce à GOODS, Christopher Conselice de l'Université de Nottingham et son équipe ont calculé en 2016 que la sphère observable jusqu'à z = 8 soit une distance propre de 13 milliards d'années-lumière contiendrait au moins 2000 milliards de galaxies - 10 fois plus que la précédente estimation - mais du fait que la majorité d'entre elles sont très pâles, nos moyens actuels ne permettent d'observer que 10% de cette population. Il reste donc assez de travail pour que le JWST et les futurs très grands télescopes spatiaux essaye de les débusquer.

Le sondage CANDELS

Le sondage CANDELS (Cosmic Assembly Near-infrared Deep Extragalactic Legacy Survey) est le plus vaste projet d'imagerie de l'univers lointain réalisé par le Télescope Spatial Hubble. Réalisé entre 2010 et 2013, il occupa le HST durant 902 orbites soit environ 60 jours continus de temps d'observation.

L'objectif principal de CANDELS consistait à étudier l'évolution du jeune univers dans le proche infrarouge au moyen de la caméra WFC3 et en optique par la caméra ACS.

CANDELS s'est concentré sur deux époques critiques de l'évolution cosmique. D'une part "l'Aube Cosmique" qui se produisit moins d'un milliard d'années après le Big Bang, c'est-à-dire aux décalages Doppler compris entre 1.5 > z < 8, lorsque les premiers germes de la structure cosmique se formèrent. D'autre part, sur ce qu'on surnomma le "Midi Cosmique" (Cosmic High Noon) situé entre 2 et 4 milliards d'années après le Big Bang, lorsque les galaxies ont connu leur plus forte croissance lorsque des rivières de gaz entraînées par la gravité s'y déversaient le long de la "toile cosmique". CANDELS photographia plus de 250000 galaxies. En complément, la composante UV du sondage GOODS North (GOOD-N) fut ajouté à CANDELS.

Un autre objectif fut de découvrir des supernovae de Type Ia au-delà de z > 1.5 car elles servent de "chandelles standards" pour calculer le taux d'expansion de l'Univers.

A gauche,  une photographie du champ ultra profond (UDF) prise par le HST dans le cadre du sondage CANDELS. L'image contient environ 30000 galaxies répartie sur 6 milliards d'années dans le temps et dans l'espace, soit la moitié de l'âge de l'Univers. A droite, une photo prise par le HST dans le cadre du sondage UVCANDELS. Elle contient environ 5000 galaxies situées à plusieurs milliards d'années-lumière. La région est située dans le champ "Extended Groth Strip" (cf. cette photo couvrant 70'x10' et contenant 50000 galaxies jusqu'à z~1 soit ~8 milliards d'années-lumière), l'un des cinq champs du ciel profond étudiés en détails en infrarouge dans le cadre du sondage CANDELS. Il s'agit d'une photo RGB en fausses couleurs. La lumière bleue est représentée en bleu, la rouge en vert et la proche infrarouge en rouge. La région illustrée couvre 9'x9' soit 10% de la taille apparente de la pleine Lune. Documents NASA/STScI et NASA/STScI/ Harry Teplitz (Caltech/IPAC

Le sondage UVCANDELS

Le sondage UVCANDELS vient en complément du sondage CANDELS et se déroula entre le 12 avril 2019 et le 21 mai 2020. Il réalisa des photographies UV au moyen des caméras WFC3/F275W et ACS/F435W des objets extragalactiques dans les quatre principaux champs d'étude du ciel profond (UDF) du HST les mieux adaptés aux observations du JWST. UVCANDELS occupa le HST durant 164 orbites soit environ 10 jours continus de son temps d'observation.

Le but était d'étudier les processus clés de l'évolution structurelle des galaxies situées entre 0.5 < z < 3, c'est-à-dire à des distances propres comprises entre 5 et 11.5 milliards d'années-lumière en utilisant les données UV et bleues à haute résolution spatiale (700 pc à z ~ 1 ou une distance propre de 7.8 milliards d'années-lumière) et créer des cartes en 2D de l'histoire de leurs formations stellaires. Ensuite, ces données furent combinées à celles héritées du télescope spatial Herschel de l'ESA qui fut opérationnel entre 2009 et 2013 afin de tracer l'évolution de la teneur en poussière des galaxies situées à des décalages vers le rouge modérés (z < 1).

Parmi les autres missions, UVCANDELS étudia le rôle de l'environnement dans l'évolution des galaxies formant des étoiles de faible masse, il étudia la décroissance du taux de formation stellaire (SFR) dans les galaxies massives de type précoce et le rôle des fusions mineures. Enfin, il étudia la fraction d'échappement du rayonnement ionisant des galaxies à z ~ 2.5 soit ~2.6 milliards d'années après le Big Bang afin de mieux comprendre comment les galaxies à taux élevé de formation stellaire ont réionisé l'Univers à z > 6 soit moins d'un milliard d'années après le Big Bang.

UVCANDELS complète d'autres observations du ciel profond en UV (HDUV, UVUDF, ERS et Frontier Fields) et couvre une surface du ciel de ~430' carrées équivalente à environ 50% de la taille apparente de la pleine Lune. Au total, UVCANDELS photographia environ 140000 galaxies.

Le programme CLASH

A partir de 2011 et durant 3 ans, les astrophysiciens ont disposé du programme CLASH (Cluster Lensing And Supernova survey with Hubble) pour identifier les galaxies les plus éloignées. Cette méthode allie la puissance du Télescope Spatial Hubble à l'effet amplificateur des lentilles gravitationnelles présentes dans les 25 amas de galaxies les plus massifs.

Cette méthode de recherche a rapidement porté ses fruits. C'est ainsi qu'on découvrit en 2011 la galaxie MACS0647-JD à z = 10.8.

La vidéo suivante décrit la formation des lentilles gravitationnelles.

A voir : Einstein's Rings and the Fabric of Space

Le programme Frontier Fields

En 2012, un groupe d'astronomes comprenant des membres du STScI exploitant le Télescope Spatial Hubble (HST) et de divers instituts scientifiques (NASA, NOAO, Yale, INAF, etc) proposa une nouvelle méthode d'investigation pour sonder les frontières de l'univers inaccessibles au HST. En effet, comme nous l'avons expliqué à propos de GOODS, au-delà de z ~ 9.3 soit une distance propre d'environ 13.2 milliards d'années-lumière, en raison de son diamètre et de son spectre limités, le HST est incapable d'observer des galaxies plus pâles, même s'il augmente le temps d'intégration d'un million de minutes pour augmenter la qualité du signal. De ce fait, certains objets lointains apparaissent soit comme un pixel pâle sur les photos du HST qui est incapable d'en révéler les détails soit il ne les enregistre tout simplement pas.

Document NASA/ESA/STScI adapté par l'auteur.

En revanche, le télescope spatial Spitzer travaillant jusqu'en infrarouge lointain peut pénétrer plus profondément dans l'Univers et observer ces galaxies très lointaines avec une meilleure résolution. Il peut le cas échéant en obtenir un spectre exploitable afin de calculer la distance de l'objet. Mais depuis cette époque, le JWST offre des performances largement supérieures.

Le projet du STScI auquel participe l'Europe s'est concrétisé en 2014 par le programme Frontier Fields (Les champs frontières). Ce programme qui comprend 840 orbites du HST répartis sur 3 ans a pour but de permettre aux astronomes d'étudier les amas de galaxies lointains et de découvrir dans la continuité du programme CLASH de nouvelles galaxies et autres quasars grâce à l'effet amplificateur des lentilles gravitationnelles.

Grâce à Frontier Fields, aujourd'hui les astronomes peuvent étudier le ciel ultra profond (Ultra Deep Field ou UDF) en haute résolution sans être limités par les contraintes spectrales dans toutes les longueurs d'ondes comprises entre 200 nm (UV) et 50000 nm ou 50 microns (IR lointain) ainsi que les rayons X grâce à trois télescopes travaillant de manière complémentaire :

- En optique (visible et infrarouge) dite lumière blanche grâce au HST dont le miroir primaire mesure 2.40 m de diamètre et offrant une résolution de 0.1". Depuis 2009, il est équipé de plusieurs caméras rassemblées dans deux systèmes, WFC3 et ACS couvrant le spectre entre 200 et 1000 nm ainsi que le proche infrarouge entre 800 et 1700 nm. Le HST dispose également d'un imageur et d'un spectromètre (NICMOS, STIS) sensibles au proche infrarouge et à l'ultraviolet (COS).

Concernant l'étude spectrale, l'un des systèmes de raies les plus faciles à détecter à grande distance est la série de Lyman de l'hydrogène. Sur Terre (référentiel statique), la raie Lyman α par exemple se trouve dans la partie UV du spectre, à 121.56 nm. Lorsque les galaxies présentent un décalage Doppler z > 8, cette raie d'émission est décalée au-delà de 1160 nm, dans le proche infrarouge !

La série de raies de Lyman est très importante car elle représente la signature caractéristique d'un gaz d'hydrogène chauffé par le rayonnement UV des jeunes étoiles présentes dans les galaxies évoluant dans cet univers primitif mais aussi par la fusion de petites galaxies naines situées sur la ligne de visée. On y reviendra.

- En rayonnement infrarouge grâce au télescope spatial Spitzer dont le miroir primaire mesure 85 cm de diamètre. Il est couplé à un imageur photométrique sensible au proche et moyen infrarouges (3-8 microns), un spectroscope infrarouge (5-40 microns) et un spectrophotomètre sensible à l'infrarouge lointain (50-160 microns). Grâce à sa sensibilité en infrarouge, il complète le HST lorsque celui-ci arrive à ses limites (photographiques ou spectrales).

- En rayonnement X grâce au satellite Chandra destiné à étudier les émissions des sources les plus chaudes ou les plus violentes du cosmos et indirectement de tracer le gaz chaud intra-amas et la matière sombre en collaboration avec le HST.

A consulter : Frontier Fields.org

Rappelons que le HST n'est plus entretenu depuis 2013 et est à court de liquide de refroidissement pour les capteurs photosensibles notamment. Il continue donc de fonctionner au mieux en mode "chaud". A partir de juillet 2022, il fut progressivement remplacé par le télescope spatial James Webb (JWST).

Depuis 2010, grâce à ses capteurs infrarouges, le HST est capable de sonder l'univers primitif jusqu'au-delà de z = 11 soit plus de 13.4 milliards d'années-lumière ou environ 400 millions d'années après le Big Bang. Par comparaison, le JWST de 6.5 m de diamètre lancé le 25 décembre 2021 est capable de sonder l'univers profond jusqu'à des redshifts z compris entre 20 et 30 ou environ 200 millions d'années après le Big Bang. Il devra notamment confirmer tous les redshifts les plus élevés ainsi que les redshifts photométriques et spectroscopiques à basse résolution des objets du ciel profond.

Le sondage RELICS

Construit sur les bases des sondages CLASH et Frontier Fields précités, le sondage RELICS (Hubble's Reionization Lensing Cluster Survey) fut proposé par le STScI (Space Telescope Science Institute), un institut fondé par la NASA dans le but d'exploiter les grands télescopes spatiaux.

RELICS combine les performances du Télescope Spatial Hubble pour la partie visible et de Spitzer pour l'infrarouge. Ce sondage vise à étudier les galaxies lointaines grâce à l'effet de lentille gravitationnelle produit par les amas de galaxies situés dans la ligne de visée.

RELICS fut le premier sondage qui détecta les plus brillantes galaxies connues ayant existé durant le premier milliard d'années de l'Univers vers z ~ 6 (cf. B.Salmon et al., 2017). On lui doit aussi la découverte de la galaxie la plus éloignée déformée par l'effet d'une lentille gravitationnelle à z ~ 10, soit 500 millions d'années après le Big Bang (cf. B.Salmon et al., 2018). Ces objets sont des objectifs prioritaires pour le télescope spatial James Webb et le réseau radioastronomique ALMA.

Trois amas de galaxies photographiés par le HST dans le cadre du sondage RELICS. A gauche, PLCK_G308.3-20.2. Au centre, RXC J0232.2-4420. A droite, un amas de galaxies anonyme. Documents RELICS

Comme GOODS, CANDELS, CLASH et Frontier Fields, RELICS nous a livré des images extraordinaires des amas de galaxies et des jeunes galaxies évoluant dans l'univers profond (cf. RXC J0142.9+4438, SPT0615-JD et les amas de galaxies présentés ci-dessus).

Les premières publications basées sur les données du sondage RELICS datent de 2018.

Le sondage UNCOVER

Après le lancement du JWST fin 2021 débuta le sondage UNCOVER (Ultradeep Nirspec and NIRCam ObserVations before the Epoch of Reionization). Il fait partie des sondages du cycle 1 du JWST qui permet d'obtenir une imagerie multibande NIRCam approfondie et une spectroscopie NIRSpec/PRISM ultra-profonde à basse résolution du champ de l'amas de galaxies de Pandore, Abell 2744, préalablement sondé par les équipes du programme " Frontier Fields" du HST précité.

La mission de UNCOVER vise 5 objectifs dont deux principaux : 

1. Identifier les premières galaxies à z > 10

2. Caractériser les galaxies à très faible luminosité qui conduisent à la réionisation à z ~ 6-7 dont la fonction de luminosité UV vers z ~ 6 qui fait débat. 

Ensuite viennent des études complémentaires :

3. Des études complètes de la masse stellaire jusqu'à z ~ 10 ou une distance propre de 13.2 milliards d'années-lumière

4. Sonder le rôle de la poussière aux redshifts élevés (dans les galaxies DOG et autres DSFG) jusqu'à z = 9

5. Etudier les différentes voies de la formation des étoiles jusqu'aux premiers temps.

C'est notamment grâce à ce sondage qu'on découvrit en 2023 le trou noir supermassif le plus éloigné situé à z ~10.3 ou uen distance propre de ~13.26 milliards d'années-lumière au coeur du quasar UHZ1 situé loin derrière l'amas de Pandore. On y reviendra.

Le sondage GLASS

Le sondage GLASS (Grism Lens-Amplified Survey from Space) est conçu pour atteindre les objectifs des programmes ERS (Early Release Science) du JWST.

Son objectif est de répondre à deux questions scientifiques clés, à savoir :

- Quelles sources ont ionisé l'Univers et quand ?

- Comment les baryons parcourent-ils les galaxies ?

tout en permettant également une grande variété d'investigations scientifiques de premier plan.

GLASS exploite la spectroscopie NIRISS et NIRSpec du JWST pour analyser les galaxies de l'amas de Pandore, Abell 2744, situé dans la constellation du Sculpteur préalablement sondées dans le cadre du programme Frontier Fields du HST. En parallèle, il utilise la NIRCam du JWST pour observer deux champs décalés par rapport au centre de l'amas, où l'effet amplificateur de la lentille gravitationnelle est négligeable, et qui peuvent donc être effectivement considérés comme des champs vides (cf. T.Treu et al., T.Treu et al., 2022).

Le sondage CEERS

Le sondage CEERS (Cosmic Evolution Early Release Science) fut proposé en 2017 (cf. S.L. Finkelstein et al., 2017). Depuis juillet 2022, il utilise le JWST et cible certains champs de données multi-longueurs d'ondes du programme CANDELS du HST dans la constellation du Bouvier.

CEERS couvre 100 minutes d'arc carré et exploite les systèmes d'imagerie NIRCam et MIRI ainsi que les moyens spectroscopiques (NIRSpec R~100 et R~1000 et le grism sans fente NIRCam (R~1500) du JWST.

CEERS est conçu pour atteindre les objectifs des programmes ERS (Early Release Science). Il a pour mission d'utiliser le JWST pour explorer l'époque de la première lumière et de la réionisation de l'Univers ainsi que la formation et le regroupement des galaxies, ce qui comprend les objectifs suivants :

1. La découverte de 20-80 galaxies à z ~ 9-13 et déterminer leur abondance et leur nature physique.

2. Enregistrer des spectres en haute résolution de > 400 galaxies à z > 3, dont 40 candidats connus à 6 < z < 9 afin de définir des contraintes sur les conditions physiques de formation d'étoiles et la croissance des trous noirs supermassifs.

3. Quantifier les premières structures galactiques (renflement central et disque des galaxies) à z > 3.

4. Caractériser l'émission IR moyen des galaxies pour étudier la formation des étoiles obscurcies par la poussière et la croissance des trous noirs supermassifs à z ~ 1-3.

Les données du CEERS sont accessibles au public qui peut donc apporter sa modeste contribution à la découverte de galaxies primitives.

Le sondage JADES

Le sondage JADES (JWST Advanced Deep Extragalactic Survey) fut imaginé en 2015 par les membres ce qui deviendra la collaboration JADES avec l'objectif d'exploiter le JWST. Il représente l'un des plus principaux et des plus vastes programmes scientifiques mis en place durant le cycle 1 du JWST (cf. D.J. Eisenstein et al., 2023).

Selon Marcia Rieke de l'Université de l'Arizona à Tucson, co-responsable du programme JADES, "avec JADES, nous voulons répondre à de nombreuses questions, comme : Comment se sont assemblées les premières galaxies ? À quelle vitesse ont-elles formé des étoiles ? Pourquoi certaines galaxies cessent-elles de former des étoiles ?"

Cette photo prise par le JWST dans le cadre du sondage JADES montre une zone du ciel appelée GOODS-South qui fut longtemps étudiée par le HST. Elle contient plus de 45000 galaxies dont des centaines à z > 8.4, évoluant moins de 600 millions d'années après le Big Bang.

JADES va consacrer 770 heures soit environ 32 jours du cycle 1 du JWST pour explorer en infrarouge et par spectroscopie les champs profonds GOODS-S et GOODS-N afin d'étudier l'évolution des galaxies à haut redshift (z > 10) jusqu'au "Midi Cosmique", une époque située vers z = 1.7 remontant à 10 milliards d'années et espérer découvrir et caractériser des galaxies lointaines et peu lumineuses.

Dans la zone du ciel GOODS-S explorée précédemment par le HST dans le cadre du programme Hubble Ultra Deep Field (HUDF) et du Chandra Deep Field South (CDFS), JADES enregistrera des images du ciel profond couvrant un champ d'environ 45 minutes d'arc2 à travers 9 filtres avec un temps d'intégration moyen total de 130 heures. Il enregistrera égalements des images des zones GOODS-S et GOODS-N avec l'instrument NIRCam mais cette fois avec un champ étendu d'environ 175 minutes d'arc2 avec un temps d'intégration moyen total de 20 heures sous 8 à 10 filtres.

Dans les deux zones du ciel, les astronomes réaliseront également une spectroscopie multi-objets détaillée au moyen de l'instrument NIRSpec, avec des temps d'intégration de 4, 12 et 55 heures, ciblant plus de 5000 sources faibles détectées par le HST et le JWST.

Enfin, JADES exploitera l'instrument infrarouge moyen MIRI et couvrira un champ d'environ 9 minutes d'arc2 avec des temps d'intégration de 43 heures à 7.7 microns et deux fois la superficie de cette zone exposée entre 2 et 6.5 heures à 12.8 microns.

Bien que les données continuent d'affluer, JADES révolutionne déjà ce que nous savons des galaxies et de la formation des étoiles dans l'univers primitif.

Grâce à JADES, les astronomes ont déjà découvert des centaines de galaxies évoluant à z > 10, dans un Univers âgé d'à peine 480 millions d'années, c'est-à-dire en pleine ère de réonisation. L'équipe a également identifié des galaxies startbursts ultra lumineuses contenant une multitude d'étoiles jeunes et chaudes.

Mieux encore, en 2022 les astronomes découvrirent une galaxie appelée JADES-GS-z13-0 à z = 13.20, évoluant dans un Univers âgé de 325 millions d'années. On y reviendra.

En complément, mais les mesures devront être vérifiées, grâce aux redshifts photométriques (voir page 3), en 2023 les astronomes avaient déjà identifié plus de 700 galaxies candidates évoluant entre 7.9 < z < 12.5 dans un Univers âgé entre 650 et 370 millions d'années.

Selon Kevin Hainline de l'Université de l'Arizona à Tucson qui utilise la caméra NIRCam (Near-Infrared Camera) du JWST pour obtenir les redshifts photométriques, "Auparavant (avec le HST), les premières galaxies que nous pouvions voir ressemblaient à de petites taches. Et pourtant, ces taches représentent des millions, voire des milliards d'étoiles au début de l'Univers. Maintenant, nous pouvons voir que certains d'entre elles sont en fait des objets étendus avec une structure visible. Nous pouvons voir des groupements d'étoiles naître seulement quelques centaines de millions d'années après le début des temps."

2. Les instruments

Le spectrographe

Les données spectrales sont utiles pour deux raisons. Premièrement, elles permettent de déterminer l'âge de la galaxie. Les objets présentant des décalages Doppler plus élevés sont nettement plus anciens et plus éloignés. Deuxièmement, les spectres donnent une idée de la composition et de l'activité d'une galaxie.

Les atomes d'hydrogène neutre qui baignent l'espace intergalactique absorbent le rayonnement ultraviolet à des longueurs d'ondes inférieures à 91.2 nm. Pour les objets éloignés, ce seuil se décale également vers les longueurs d'ondes plus longues, dans l'infrarouge pour les galaxies les plus lointaines. Étant donné que la caméra proche infrarouge NIRCam du JWST prend des mesures à travers plusieurs filtres différents, chacun couvrant une bande de longueurs d'ondes spécifiques, une galaxie peut être visible dans certains canaux mais pas dans d'autres. La bande de longueurs d'ondes dans laquelle la galaxie disparaît indique approximativement son décalage vers le rouge et indirectement le temps écoulé depuis le Big Bang.

Les spectres galactiques sont également des outils parfaits pour détecter un perturbateur majeur des atomes : les trous noirs supermassifs qui se cachent au cœur des galaxies et autres AGN. En attirant le gaz et la poussière environnante parfois sur des milliers d'années-lumière, les trous noirs déstabilisent et excitent les atomes, les faisant émettre des rayonnements révélateurs. Bien avant le lancement du JWST, les astrophysiciens espéraient que ce télescope les aiderait à repérer ces comportements et à trouver suffisamment de trous noirs supermassifs actifs dans l'univers primitif pour résoudre le mystère de leur formation.

L'instrument NIRSpec du JWST est un spectrographe dispersif multi-objets fonctionnant dans l'infrarouge proche. Il peut enregistrer simultanément plus de 100 sources sur un champ de 3'x3'. Il peut fonctionner en mode de fente fixe ou d'intégrale de champ (IFU) avec une résolution spectrale moyenne dans un domaine de 1 à 5 microns ou à basse résolution spectrale entre 0.6 et 5 microns. C'est le premier instrument déployé dans l'espace offrant cette capacité.

Grâce au JWST, les astrophysiciens ont fait un énorme pas en avant. Quand on y pense, le fait de connaître la composition chimique de galaxies situées à un redshift de 10, une époque où l'Univers n'avait que 500 millions d'années, est tout simplement remarquable. Et ce n'est qu'un début.

L'analyse spectrale fait aujourd'hui appel à des techniques très sophistiquées. Malheureusement, étant donné le peu de temps d'observation disponible, les astronomes n'ont pas toujours la possibilité d'utiliser des spectrographes à haute résolution du VLT (cf. MOONS, VIMOS, UVES, MUSE, etc) ou le NIRSpec du JWST chaque fois qu'ils le désirent et doivent se rabattre sur le grism à basse résolution d'Hubble (cf. K.E. Whitaker et al., 2014), du JWST ou d'Euclid. Mais il existe une solution plus rapide bien que moins fiable qui donne une idée approximative de la distance, c'est la photométrie.

Les filtres photométriques

La seconde technique utilise les données photométriques fondées non pas sur un photomètre mais sur des photos de la couleur de la galaxie pour déterminer son redshift. C'est une solution plus rapide et moins coûteuse qui permet d'analyser de nombreux objets mais elle est moins précise que le spectrographe car elle est basée sur les longueurs d'ondes discrètes (fixe) d'un filtre à bande plus ou moins étroite plutôt que sur des raies spectrales en haute résolution.

La solution consiste à utiliser la caméra infrarouge NIRCam du JWST en intercalant différents filtres photométriques pour ensuite déterminer le redshift. Le JWST dispose de roues à filtres comprenant au total 29 filtres répartis en deux catégories :

- Les filtres à courte longueur d'onde (sous la bande morte dichroïque) : F070W, F090W, F115W, F140M, F150W, F150W2, F162M, F164N, F182M, F187N, F200W, F210M, F212N. Ce sont généralement ces filtres qui sont utilisés pour créer les images composites RGB en couleurs arbitraires.

- Les filtres à grande longueur d'onde (au-dessus de la bande dichroïque) : F250M, F277W, F300M, F322W2, F323N, F335M, F356W, F360M, F405N, F444W, F410M, F430M, F444W, F460M, F466N, F470N et F480M.

NB. Le nom du filtre donne sa longueur d'onde centrale et son type. "F070W" est un filtre centré sur la longueur d'onde de 0.70 micron ou 700 nm. La dernière lettre détermine le type de filtre : W2" pour extra-wide (R~1), "W" pour wide (R~4), "M" pour medium (R~10) et "N" pour narrowband (R~100), R étant le pouvoir de résolution.

En résumé, la fiabilité des résultats dépend donc de la méthode utilisée, la spectroscopie HR étant de loin plus précise que la photométrie (cf. les différentes méthodes de calcul du décalage Doppler).

Cependant, pour le prestige, pour attirer l'attention de leur communauté ou de leur directeur, certains jeunes chercheurs n'hésitent pas à affirmer avoir fait une découverte sur la seule base d'une analyse photométrique, sans même attendre les résultats des mesures spectroscopiques ni la validation de leur article par leurs pairs, c'est-à-dire un comité de lecture (les referees). Nous décrirons quelques exemples dans les pages suivantes.

3. Les modèles théoriques

Enfin, n'oublions pas que ces instruments seraient pratiquement sous-exploités s'ils n'étaient pas complétés par des modèles théoriques, en particulier des programmes de simulation et des fonctions statistiques très puissantes faisant appel à l'intelligence artificielle qui aident les astronomes à formaliser leurs hypothèses au quotidien. Toutefois, ces outils théoriques ne remplacent pas les observations qui, en apportant in fine la preuve in situ, sont les seules données pouvant valider une théorie.

Prochain chapitre

Des candidates galaxies massives à z = 17 et z = 20

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[1] Ces valeurs dépendent des paramètres cosmologiques. Elles sont valables pour un Univers en expansion avec une constante de Hubble Ho = 69.6 km/s/Mpc, une densité de matière ΩM = 0.298 et une densité du vide Ωvac = 0.714, avec Ω le rapport entre la densité de l'Univers et la densité critique. Ainsi, si Ho diminue par exemple, la distance de l'objet augmente dans les mêmes proportions.


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