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La colonisation de la Lune

Le début d'une grande Aventure

Nous avons décrit l'histoire de l'astronautique et des premiers pas de l'homme sur la Lune, une aventure extraordinaire mais aussi à haut risque qui nous a permis de mieux comprendre comment l'être humain peut survivre et voyager dans l'espace proche. Grâce aux missions lunaires, nous avons également appris beaucoup choses sur la Lune, sa formation, son évolution et son activité actuelle. Mais comme toute mission d'exploration découvrant un nouveau monde, face à une ressource à fort potentiel, les agences spatiales ne se contenteront pas des découvertes du programme d'Apollo et des missions orbitales. Au cours du XXIe siècle, l'être humain redébarquera sur la Lune et ce sera pour y établir une base permanente, le début d'une nouvelle grande Aventure.

L'Aventure lunaire

A gauche, l'équipage d'Apollo 11 (Neil Armstrong, Michael Collins et Buzz Aldrin) en 1969 dont voici une autre version. Au centre, l'empreinte de Buzz Aldrin sur la Lune dont voici une autre photo, suivant de quelques minutes par celles laissées par Neil Armstrong le 20 juillet 1969. A droite, Orion, le LEM d'Apollo 16 qui alunit dans le site de Descartes. John W. Young qui pilota également la première navette spatiale vous salue fièrement à côté de la jeep lunaire. Documents NASA/Apollo 11 et Apollo 16.

En 1958, voici comment Wernher von Braun[1] imaginait la première sortie du LEM dans son roman de réalité-fiction : "[John et Larry] ouvrirent lentement la porte extérieure et contemplèrent le magnifique panorama montagneux du cratère lunaire peu profond au fond duquel ils avaient accosté. Le spectacle était grandiose quoique désolé. On pouvait voir près de l'horizon un Soleil qui brillait sur un fond d'un noir de velours parsemé de myriades d'étoiles. Les pics lunaires projetaient de longues ombres noires, sans la moindre couleur ou nuance, et tout le paysage n'était fait que de contrastes accusés. Mais là-bas, près de l'horizon aussi, ils pouvaient apercevoir quelque chose d'une beauté frappante et qui différait de tout ce qui les entourait : le disque multicolore de la Terre d'où ils venaient [...], avec ses nuances bleuâtres, verdâtres, rougeâtres et d'un blanc brillant. C'étaient les seules taches de vraie couleur en vue. Dans toutes les autres directions brillaient les myriades d'étoiles calmes. Elles ajoutaient de l'éclat au panorama désolé et évoquaient le charme d'une nuit étoilée dans le désert." Il ne pouvait être plus visionnaire.

Les archives de la NASA : Apollo Archive - Apollo archives - Apollo 11

A gauche, le site d'alunissage d'Apollo 11 et les cratères rendant hommage aux trois astronautes. Voir aussi la carte lunaire de LROC. A droite, Buzz Aldrin cherchant "son cratère" sur une carte lunaire. Photo publiée le 25 juillet 2019 à l'occasion du 50e aniversaire de la mission Apollo 11.

Aujourd'hui la Lune est à porté de main, de la main de l'Homme lui-même ainsi que nous le rappelle la NASA. L'exploration lunaire débuta à l'initiative des Soviétiques qui lancèrent la sonde Luna 1 en 1959. Les Etats-Unis lancèrent avec succès leur première sonde automatique Pioneer 4 la même année et continuèrent sans interruption jusqu'en 1973. Ils lancèrent au total 37 vaisseaux spatiaux, dont 6 missions habitées Apollo entre 1969 et 1972. Au total, Russes et Américains lancèrent ainsi 81 vaisseaux spatiaux à la conquête de la Lune jusqu'en 1976. Puis il y eut un grand sommeil.

Mais l'aventure lunaire reprit sa marche en avant. La Lune présente en effet un intérêt scientifique tel qu'on y envoya plusieurs sondes explorer à nouveau sa surface à partir de 1990.

Après l'échec de la mission japonaise Hiten (Muses A) en 1990, deux sondes américaines sont parties à la recherche de traces d’eau dans les régions polaires de la Lune, autour des quelques rares cratères qui ne reçoivent jamais la chaleur du Soleil. Clementine fut mise en orbite polaire autour de la Lune en 1994 et Lunar Prospector la suivit en 1998. Précisons que le vecteur de cette dernière avait été construit sur base d’un missile ICBM Minuteman et contenait également les cendres de l’astronome Eugène Shoemaker, celui-là même qui découvrit de nombreuses comètes parmi lesquelles chacun aura reconnu la défunte Shoemaker-Levy 9. Eugène Shoemaker était également passionné par l’astronautique et manqua de peu d’être enrôlé comme astronaute.

La seule et unique mission européenne fut Smart-1, un démonstrateur à propulsion électrique qui se mit avec succès en orbite lunaire en 2004. Au terme de ses deux années de vol, elle s'écrasa "avec succès" sur la Lune. Puis il y eut la mission japonaise Kaguya (ou Selene) en 2007, équipée d'une caméra haute définition HDTV fabriquée par NHK, et les missions se succèdent.

A voir sur le blog : Kaguya révèle le cratère lunaire Tycho en 3D (2009)

Paysage lunaire en 3D révélé par la sonde Kaguya (2008)

Illustrations artistiques de clairs de Terre vus depuis la Lune en hommage aux astronautes du programme Apollo. Documents T.Lombry.

Au total, en 2022 on recensait 139 missions lunaires (depuis Pioneer 0 en 1958) organisées par 7 agences spatiales mais 43 missions ont échoué et 5 partiellement (perte de contrôle, panne d'électricité ou alunissage manqué). 36 autres missions sont planifiées jusqu'en 2028 par les différentes agences spatiales dont Artémis de la NASA (une liste complète des missions lunaires est tenue à jour sur le site anglophone de Wikipédia).

La colonisation de la Lune

Vivrons-nous demain sur la Lune ? Malgré la mise en veilleuse de l’exploration de la Lune pendant près de 30 ans, celle-ci n’a jamais été délaissée par les professionnels. Indépendamment des décisions politiques, toutes les agences spatiales ont planifié des missions vers la Lune à part décennie 2020. Tout a commencé par de nouvelles missions de prospections.

Citons déjà le succès de la mission japonaise Lunar A qui déploya des pénétrateurs sismiques dans la surface de la Lune en 1999. Fiers de ce dernier succès, tant le Japon, l'ESA que la NASA planchent sur de nouvelles sondes bon marché mais spécialisées qui s'envoleront bientôt explorer le sol lunaire, pour citer la sonde SMART-1 de l'ESA par exemple qui était équipée d'un moteur ionique.

Si la colonisation de la Lune annoncée par le président Bush en 1989 fut annulée par le Congrès, le président George Bush, Jr reprit son idée et comptait bien la mener à son terme. A la veille de sa réélection en 2004, il annonça qu'il souhaitait que la NASA établisse une base permanente sur la Lune à partir de 2015 et construise en parallèle un site de lancement vers Mars. Comme le rappela le porte-parole de la NASA : "cette fois nous y allons pour y rester. C'est une 'top priorité'." Mais depuis les choses ont changé et le projet fut postposé.

Michael Griffin, alors administrateur de la NASA, estimait le coût de ce programme à 104 milliards de dollars, voisin du prix actualisé du programme Apollo mais 30% moins cher que le programme de la station ISS.

Pour les prochaines missions habitées vers la station ISS, vers la Lune et au-delà, la NASA avait élaboré le programme Constellation mais le président Barack Obama l'annula en 2010. Il sauva cependant le projet de vaisseau Orion et émit le souhait de bâtir une base lunaire avant d'entrevoir un vol habité vers Mars vers 2035. Pour cela, la NASA et ses contractants (dont plus de vingt entreprises européennes pour le SLS) ont dû développer une nouvelle fusée, un nouveau module cargo et un nouveau vaisseau habité (cf. les vaisseaux spatiaux Falcon, SLS, Dragon et Orion).

De son côté, l'agence japonaise JAXA envisage également de débarquer des hommes sur la Lune à partir de 2025. Ce jour là, le savoir-faire Japonais prendra un tout autre sens et leur technologie sera plus que jamais en concurrence directe avec celle de la NASA, de l'ESA et la CNSA chinoise.

L'Inde a également posé un satellite sur la Lune en 2008 mais n'a pas annoncé son intention d'y déposer des hommes.

La Chine (CNSA) est de nouveau dans la course à la Lune. Après avoir réussi à poser la sonde spatiale Chang'e-3 sur la Lune en 2013 (dont voici les vidéos de CCTV), elle posa la sonde spatiale Chang'e-4 sur la face cachée de la Lune début 2019 et la sonde spatiale Chang'e-5 en décembre 2020 qui ramena 2 kg de roches lunaires. Plus ambitieux, la Chine envisage également de débarquer un homme sur la Lune après 2025 et d'installer une base lunaire habitée en permanence vers 2040.

Quant à l'Europe, en 2019 le groupe Ariane annonça qu'il allait "étudier une mission lunaire pour l'ESA" avec un alunissage prévu avant 2025. La mission serait dédiée à l'exploration minière. Puis plus personne n'en entendit parler comme si l'ESA avait abandonné la partie. Aux dernières nouvelles, ce projet est retardé voire annulé au bénéfice d'une collaboration avec la NASA autour de la future base lunaire. Ceci confirme que malgré sa population deux fois plus nombreuse que celle des Etats-Unis, l'Europe de l'espace n'a pas les moyens de ses ambitions.

Des astronautes contemplant la Terre depuis l'espace. Documents T.Lombry.

Le programme Artémis

Le nom Artémis fut choisi  par la NASA car dans la mythologie grecque c'est la soeur d'Apollon (Apollo en anglais).

Sachant ce que coûta le programme Apollo tant en vies humaines (3 morts) que financièrement et les risques encourrus, faut-il croire les déclarations annonçant un nouveau débarquement de l'homme sur la Lune ? Pour les Etats-Unis, il s'agit avant tout d'une stratégie politique pour valoriser le savoir-faire des entreprises américaines au détriment des autres nations spatiales, le lanceur Ariane et les fusées russes et chinoises étant toujours des concurrents indésirables aux yeux de certains Républicains.

Pour l'Europe, la Russie et la Chine c'est plus une question de prestige que d'affaire; ils ne peuvent pas laisser la Lune aux Américains et passer au yeux du public comme des outsiders ou des nations incapables de réussir une mission lunaire habitée. Dans cette éventualité, l'ESA serait considérée comme un acteur de second ordre voire peu fiable et perdrait le support de ses membres et ses budgets. Ceci dit, l'ESA n'a pas les moyens financiers pour se battre à égal avec ses concurrents. Puisque l'Europe le veut ainsi, à défaut de moyens l'ESA et des dizaines d'entreprises européennes n'ont pas d'autre alternative que de participer au programme lunaire Artémis.

Mais au-delà de ces rivalités politiques et technologiques, aucune nation spatiale ne peut ignorer le potentiel offert par les ressources lunaires, même si aucun pays n'envisage de les exploiter avant 2040 ou 2050 et encore, avec des moyens très limités.

Nous verrons si ces effets d'annonces seront suivis d'actions concrètes car l'histoire nous a montré que les programmes sont souvent retardés de plusieurs années ou annulés, sans même parler des soi-disant projets de missions habitées vers Mars ou de colonies spatiales à la O'Neil qui n'ont jamais vu le jour faute d'intérêt réel des Américains et de la communauté internationale.

A voir : NASA's Artemis 1 rocket prepares for first test flight, CBS, 2021

A consulter : Space Launch System, Boeing

Artemis 1 : Get boarding Pass, NASA, 2022

Enregistrez votre prénom et nom pour recevoir votre ticket pour le vol d'Artémis 1

A gauche, le SLS Artémis I sur son pas de tir 39B, prête à effectuer son vol d'essai autour de la Lune 50 ans après la mission historique d'Apollo 11. A droite, le plan de vol de cette première mission non habitée qui s'envola le 16 novembre 2022 et dura 26 jours. Documents NASA/Kim Shiflett/Flickr et Boeing.

Artémis I

Initialement, selon les premières prévisions de la NASA, une fusée SLS portant le vaisseau Orion non habité devait effectuer un vol d'essai autour de la Lune en 2020. Un an plus tard, la fusée n'était toujours pas prête. En 2022, trois tentatives de lancements furent annulées suite à de nouveaux problèmes techniques avec les moteurs cryogéniques et le passage de la tempête tropicale Ian dans les Caraïbes, forçant la NASA à ramener la fusée dans son hangard (cf. NASA).

La NASA a finalement lancé la fusée Artémis I portant le vaisseau Orion le 16 novembre 2022 à 1h47 locale, 50 ans après la mission Apollo 11. La mission Artémis I dura 26 jours. On pouvait suivre virtuellement la mission en temps réel via le site Track Artemis de la NASA.

On reviendra sur les fusées Falcon et SLS.

Artémis II

La mission Artémis II a prit un an de retard sur le planning et est prévue pour 2025. Il s'agit d'un vol orbital habité au cours duquel quatre astronautes, trois Américains et un Canadien, survoleront la Lune, sans y alunir. Comme Apollo 8, 9 et 10 à l'époque, la mission a pour objectif de s'assurer que toutes les étapes de la mission se déroulent bien. Artémis II sert à vérifier si on peut contrôler le vaisseau Orion comme prévu, communiquer sans problème avec la Terre, etc.

A voir : Artemis I Close Flyby of the Moon, NASA

Track Artemis, NASA

Artemis I Launch to the Moon (Official NASA Broadcast), NASA

Artemis Launch, Cady Coleman

Le SLS Artémis I sur son pas de tir 39B au KSC le 14 novembre 2022 et son décollage le 16 novembre 2022 à 1h47 locale (6h47 TU). Voici une autre photo du SLS sur le pas de tir, une photo plus rapprochée du lancement et une photo 1 minute après le lancement prise avec un téléobjectif de 800 mm. La fusée mesure 98.1 m de hauteur et pèse 2608 tonnes au décollage (dont 26.8 tonnes de charge pour la Lune principalement occupée par le vaisseau Orion). La poussée au décollage est de 3992 tonnes et atteignait 109% de la puissance nominale (cf. le site Artemis-I). Documents NASA/Bill Ingals, NASA HQ/Joel Kowsky, NASA HQ/Joel Kowsky et Joe Rimkus Jr/Reuters.

Artémis III

Le but d'Artémis III est de tester la phase d'alunissage et de décollage de la Lune. Le docking ou amarrage entre le vaisseau Orion et le Gateway n'est pas encore certain mais possible. Cette mission devrait durer 10 jours.

Pour la NASA, la mission lunaire Artémis III est tout à fait concrète et devait se dérouler en plusieurs étapes :

1°. Lancement sur orbite d'une fusée SLS Artémis III au sommet de laquelle se trouve le vaisseau habité et autonome Orion

2°. Mise sur orbite d'une fusée-cargo contenant le matériel dont le module lunaire

3°. Assemblage du module lunaire ou d'autres modules avec le vaisseau Orion et transport de l'ensemble vers la Lune.

4°. Alunissage, premiers pas et décollage de la Lune.

5°. Retour du vaisseau Orion et atterrissage sur Terre.

A l'heure actuelle, la NASA a proposé un scénario alternatif avant la mission lunaire. La fusée Artémis III resterait en orbite terrestre afin de tester l'amarrage entre le vaisseau Orion et l'alunisseur Starship (voir ci-dessous). C'est la mission Artémis IV qui embarquerait les astronautes qui se poseront sur la Lune.

Concernant le carburant des fusées, si de petits moteurs électriques peuvent être fabriqués à partir de la transformation du CO2 en oxygène, l'hydrogène ne sera pas utilisé comme combustible (ergol) car il est trop difficile à stocker (l'hydrogène s'évaporant à -252.98°C, il exige des moyens de conservation soit cryogéniques soit à hautes pressions voire à base d'hydrures sous forme solide). Comme SpaceX et d'autres constructeurs, la NASA utilisera encore longtemps des moteurs-fusées à oxygène-méthane car ces ergols sont plus faciles à produire et à stocker que l'hydrogène (le méthane peut aussi être fabriqué à partir du CO2 et de la lumière, cf. M.Robert et al., 2017).

L'alunisseur

Après le vaisseau Orion qui reste l'élément clé du programme Artémis avec le propulseur SLS, l'alunisseur est indispensable pour se poser et décoller de la Lune. Le contrat initial de la NASA fut confié à SpaceX qui signa en 2021 un contrat de 2.9 milliards de dollars mais complété par une participation propre de Space X d'au moins un milliard de dollars. Blue Origin porta plainte contre la NASA pour n'avoir sélectionné qu'une seule entreprise alors qu'habituellement elle en choisit deux pour à la fois faire jouer la concurrence et réduire les risques. Finalement, en 2023 Bill Nelson confia le développement d'un second alunisseur pour la mission Artémis V à Blue Origin qui travaille sur ce projet en collaboration avec Lockheed Martin, Draper, Boeing, Astrobotic et Honeybee Robotics. C'est un contract de 3.4 milliards de dollars.

Pour rappel, le programme Apollo utilisait un module lunaire (LEM, Lunar Excursion Module) pour se poser et décoller de la Lune. Cette solution fut retenue par Blue Origin. En revanche, l'alunisseur de SpaceX est une version modifiée de la fusée Starship dont la mise au point reste donc tout aussi délicate qu'une fusée (les premiers vols montés sur son lanceur Super Heavy en 2023 se sont soldés par des explosions). Starship est une fusée habitée réutilisable dont le premier étage appelé Super Heavy est équipé de 33 moteurs Raptor permettant à la fusée de décoller et revenir sur la terre ferme. De plus, pour atteindre la Lune, Starship devra être ravitaillé en carburant en vol, une opération risquée et qui n'a pas encore testée.

Les certifications

Comme en Europe où l'AESA (Agence Européenne de la Sécurité Aérienne) certifie les nouveaux avions, les équipements et la formation des pilotes, aux Etats-Unis, la FAA (Federal Aviation Agency) certifie les vaisseaux aériens et la formation des pilotes comme des astronautes et la FWS (U.S. Fish and Wildlife Service) assure la préservation de la vie sauvage. La FAA et la FWS exigent que les entreprises spatiales dont SpaceX respectent les réglementations américaines, en particulier la FWS qui veut éviter que les fusées ne polluent et dégradent l'environnement. En 2024, le retour de Starship n'avait toujours pas été certifié. Cette situation énerva Elon Musk car elle impactait directement le planning et embarrassa la NASA car la procédure de certification risquait de retarder la prochaine mission prévue en 2024 de 6 mois.

Artémis III : les Américains sur la Lune

En mai 2019, l'administration Trump soumit un amendement au budget de l'année fiscale 2020 afin d'augmenter le budget de la NASA de 1.6 milliard de dollars dans le but d'accélérer le débarquement d'astronautes américains sur la Lune prévu en 2024, portant le budget de la NASA à 23.5 milliards de dollars soit 9% de plus qu'en 2019 (cf. The New York Times et Reuters). Mais revers de la médaille, selon l'agence AP, pour augmenter ce budget, Trump n'a pas hésité à couper dans les fonds de la NASA réservés à l'éducation après avoir déjà coupé des fonds réservés à la science. Mais ce projet de débarquement anticipé sur la Lune n'est pas gagné car l'administration Trump ne connaissait même pas la somme exacte à investir pour respecter son planning.

A consulter : NASA's RASC-AL Competition

Exploration Technology Development Program, NASA

Les nouvelles technologies d'exploration (robot, rover, habitat, etc)

Illustrations de la mission lunaire Artémis III et de l'alunisseur de SpaceX. Cette mission lunaire habitée serait prévue en 2026. Documents Nick Henning/NASA (2021) et NASA (2022).

Le changement d'administration en 2021 avec l'élection du président Joe Biden modifia le budget et le planning. On estime qu'il faudrait que la NASA se voit octroyée 4 milliards de dollars supplémentaires par an jusqu'en 2024 pour atteindre son objectif de 40 milliards de dollars ! Mais en pratique il faudrait doubler cette enveloppe et donc trouver dans la poche du contribuable américain quelque 40 milliards de dollars supplémentaires d'ici 2024... Rappelons que la fusée Artémis revient à 4.1 milliards de dollars (cf. Ars Technica).

Dans un rapport d'audit du Bureau de l'Inspecteur Général (IOG) de la NASA publié le 10 août 2021, l'IOG déclara que l'agence spatiale est en passe de dépenser plus d'un milliard de dollars pour développer ses nouvelles combinaisons spatiales mais que les deux premières combinaisons xEMU ne seront pas prêtes avant "avril 2025 au plus tôt. Compte tenu de ces retards anticipés dans le développement de la combinaison spatiale, un atterrissage lunaire à la fin de 2024, comme le prévoit actuellement la NASA, n'est pas réalisable."

Officieusement, pour que la NASA respecte son planning, on lui proposa de confier la fabrication des combinaisons xEMU à SpaceX. Finalement le développement des combinaisons xEMU et lunaires fut confié à Axiom Space en collaboration avec Prada pour son expertise et à Collins Aerospace.

L'échéancier du programme lunaire, tel qu'établi par l'ancien vice-président Mike Pence fut jugé irréaliste par l'équipe de transition du président Biden. Mais la NASA souhaitait toujours envoyer une fusée habitée sur la Lune en 2024.

Aux dernières nouvelles (2024), selon Bill Nelson, administrateur de la NASA, "Nous ajustons notre calendrier, pour viser Artémis II en septembre 2025, et septembre 2026 pour Artémis III."

Le Gateway lunaire

Ensuite, le programme lunaire n'est pas encore clairement planifié. Originellement prévu pour 2022, la NASA travaille actuellement sur un projet de Gateway lunaire, une passerelle ressemblant à un gros module orbital muni de panneaux solaires placé en orbite cislunaire comprenant au minimum un système de communication propulsé (PPE). Sa construction débutera au cours de la mission Artémis IV qui devrait se dérouler après 2030. A terme, le Gateway permettra aux futurs équipages de transiter vers et depuis la Lune, et par la suite de partir vers Mars et d'en revenir.

A partir du Gateway, les astronautes pourront partir en mission d'exploration lunaire pour par exemple ramener des roches lunaires ou entreprendre des missions robotisées sur la Lune ou dans l'espace proche. A mesure que les missions Artémis se succèderont, les astronautes feront des séjours plus longs sur la Lune, y déposeront des instruments et des rovers pressurisées ou non et commenceront à explorer le pôle Sud de la Lune pour sélectionner le meilleur site de la future base lunaire.

Le vaisseau habité Orion de SpaceX s'approchant du Gateway et gros-plan sur la capsule du vaisseau Orion. Autonome, il récupère le module LSAM (Lunar Surface Access Module) Artémis sur l'orbite terrestre et le conduit jusqu'à la Lune. Il revient ensuite sur Terre où il atterrit après avoir été amorti par des parachutes et un coussin amortisseur. Orion peut également servir de navette entre la Terre et la station ISS. Il peut emporter de 4 à 6 astronautes. Documents NASA (2021) et NASA (2006).

Puis, avant de s'installer sur la Lune, il faut résoudre quantités de problèmes techniques, logistiques et sanitaires dont certains sont encore aujourd'hui au stade des innovations et des prototypes (on sait comment aller sur la Lune mais personne n'a jamais vécu sur la Lune). Il y a notamment la partie infrastructure qui exige énormément d'efforts, y compris des sociétés privées sous contrat avec la NASA. Un problème essentiel déjà en partie résolu dans la station spatiale internationale (ISS) est la gestion des déchets (le recyclage de l'eau et de certains produits, cf. les cycles de l'eau, du carbone et de l'azote).

Gérer les risques dans l'espace

S'engager dans une mission spatiale et d'autant plus sur la Lune revient à faire un pari très risqué. On peut gérer les risques, on peut en supprimer, en réduire ou les contourner mais il restera toujours des impondérables comme un accident aléatoire. Autrement dit le risque zéro n'existe pas. Tous les acteurs du secteur spatial le savent et tous les astronautes signent leur contract en connaissance de cause. Mais tous espèrent aussi que grâce à leur longue préparation, les nombreux tests, essais et simulations, leur mission se déroula sans problème.

Une chose est certaine, il faut prendre moins de risques que lors du programme Apollo (pour rappel, Apollo 11 avait une chance sur deux de réussir sa mission et prit des risques qu'on ne prendrait plus aujourd'hui), utiliser des véhicules (orbiter et lander) plus fiables et si possible réutilisables en partie ou en totalité, s'assurer de la qualité et de la compatibilité des éléments fabriqués par des fournisseurs différents, utiliser des technologies économes en terme énergétique, gérer au mieux l'espace et les ressources disponibles, etc.

Puis il y a la question cruciale de la protection des astronautes qui seront exposés des jours et des semaines durant à de nombreux risques dont voici un résumé.

Le principal risque est l'exposition au vide de l'espace. Il est tellement évident pour un astronaute qu'on en parle presque plus. Pourtant, comme nous l'avons expliqué, le développement d'une combinaison spatiale est excessivement complexe. Elle doit protéger l'astronaute non seulement du vide et donc être étanche, mais également le protéger des radiations et l'isoler du froid comme de la chaleur tout en conservant la chaleur corporelle. Elle doit également être souple et ne pas transformer l'astronaute en robot incapable de plier les doigts, les genoux ou les coudes et le moins encombrante possible au risque de ne pas pouvoir passer par les sas. Enfin, il doit pouvoir respirer parfois durant plus de 8 heures d'affilée (ce fut le cas sur la mission STS-102 en 2001 où deux astronautes firent une EVA durant 8h56m, un record). Mal conçue, cela reviendrait à marcher dans un sac en plastique mal ajusté en plein été.

Puis il y a le risque d'irradiation. Sans champ magnétique et sans atmosphère, la surface lunaire est exposée aux rayons cosmiques et gamma à des taux atteignant 440 fois les doses terrestres. Ainsi lors de la mission lunaire chinoise Chang'E 4, les dosimètres embarqués ont relevé sur la face cachée des doses totales absorbées de 13.2 ±1 μGy/heure et des doses de particules neutres de 3.1 ±0.5 μGy/heure (cf. S.Zhang et al., 2020). Par comparaison, sur Terre (à Tokyo) la dose atteint seulement 0.03 μGy/heure. Il faut donc absolument assurer la protection des astronautes contre ces rayonnements ionisants et pas seulement lors des EVA. On ne peut plus se contenter de construire un vaisseau spatial habité ou un habitat sur la Lune dont les parois de protection sont aussi fines qu'une feuille d'aluminium sinon ce sont des cancers assurés (cf. le mal de l'espace). C'est pour cette raison que le vaisseau Orion de la mission Artémis I de 2022 embarqua trois mannequins bardés de détecteurs développés par les ingénieurs du centre nucléaire de Mol en Belgique pour évaluer le risque de contamination lors d'une vol habité vers la Lune.

A gauche, les bases du savoir se nourrir en impesanteur s'appliqueront en grande partie également sur la Lune. Document ASC. Au centre et à droite, illustrations de la mission Artémis III de la NASA avec l'alunisseur Starship de SpaceX imaginées par l'artiste Nick Henning (2021).

Il faut aussi protéger les astronautes mais également les appareils contre les températures extrêmes et les écarts de température. Sur la Lune, il n'y a pas de transfert de chaleur par conduction ou convection mais uniquement par rayonnement. Dans le vide, sans atomes il n'y a pas de température moyenne et on peut juste mesurer la quantité d'énergie rayonnée. Cette énergie dy rayonnement est différente de la température réelle du corps exposé à cette chaleur et dépend de paramètres physiques (dimension du corps, albedo, densité de la surface exposée, résistivité thermique, etc).

A midi à l'équateur, la température sur la Lune peut atteindre 127°C et plonge dans l'ombre des cratères à -173°C. Aux pôles, la température avoisine 0°C côté Soleil mais au fond des cratères où la nuit est permanente, LRO a relevé une température de -250°C, à peine 23° au-dessus du zéro absolu ! Dans ces conditions, rien ni personne ne peut résister ni au chaud ni au froid et les couches isolantes et les résistances thermiques seront très sollicitées.

Il faut aussi veiller à la décontamination des hommes et des habitats suite à la toxicité de la poussière lunaire et surveiller la radioactivité émise par le sol que nous avons évoquée dans un autre article

Enfin, il faut aussi s'assurer que les astronautes et les habitats sont protégés contre les micrométéorites. La Lune n'ayant pas d'atmosphère, le risque d'impact météoritique est forcément beaucoup plus élevée que sur Terre. Il ne faut pas oublier que la poussière de régolite lunaire est formée de fragments de roches et de météorites. Selon les données de la sonde LRO, 99% de la surface de la Lune seraient recouverts par une nouvelle couche de débris après ~81000 ans à un taux plus de 1000 fois supérieur aux précédentes estimations (cf. NASA). Il s'agit donc d'un bombardement quasi invisible mais permanent et relativement rapide à l'échelle géologique. Pour éviter tout risque d'accident, les astronautes devront éviter de sortir de l'alunisseur et plus tard des habitats durant les périodes des essaims de météores sachant qu'il y en pratiquement tous les mois, le pic d'activité durant plusieurs heures et le passage de l'essaim pouvant durer plusieurs jours.

Ensuite, lorsque les astronautes travailleront et vivront sur la Lune, d'autres risques apparaîtront liés à la vie elle-même (maladie éventuelle, etc) et aux technoplogies utilisées (panne et accident éventuels).

Les astronautes en mission sur la Lune devront donc prendre de nouvelles habitudes, porter un dosimètre, prendre connaissance du temps spatial et de doute information vitale avant toute sortie en surface ou EVA et se décontaminer après chaque sortie lunaire.

Le programme des missions sur la surface de la Lune ne sera sans doute pas fixé avant la mission Artémis II ou III. Une chose est sûre, les astronautes ne visiteront pas tout de suite un cratère à l'ombre du pôle Sud. En effet, des études ont montré que les régions situées dans l'ombre du Soleil accumulent des électrons qui engendrent des champs électriques atteignant plusieurs centaines de milliers de volts qui pourraient déclencher des décharges électriques voire électrocuter les astronautes comme l'explique la vidéo ci-dessous.

A voir : Why NASA Mustn't Land Near the Moon's Poles Yet, Astrum

Earth, Sun from Moon's South Pole, NASA

3D Simulation of the Shackleton Crater, IDIA Lab

A gauche, une photo intégrée de la Lune sous illumination multi-temporelle réalisée par LRO en 2022 à partir de 1700 images prises sur une période de 6 jours lunaires (ou 6 mois terrestres) afin de couvrir le pôle Sud de la Lune sous différents éclairages. Le fond de dizaines de cratères reste perpétuellement plongé dans l'obscurité comme le cratère Shackleton de 21 km de diamètre et de 4.2 km de profondeur situé au centre de l'image. Le pôle Sud lunaire se situe à environ 9 heures sur le bord du cratère. Au centre, la nomenclature des principaux cratères sur une image radar à 8.56 GHz (3.5 cm de longueur d'onde du pôle Sud lunaire obtenue grâce aux antennes DSS-14 (en émission) et DSS-13 (en réception) du réseau DSN. A droite, une mosaïque du pôle Sud de la Lune réalisée par LRO en 2010. L'image couvre 600 km. La résolution est de 400 m/pixel. Documents NASA/U.Az/LRO, J.L. Margot et al. (1999) et NASA/LRO.

Bref, on ne va pas sur la Lune pour le plaisir de rouler en 4x4 dans le désert de régolite, pour chercher des météorites ou pour faire de belles photos du ciel étoilé ! Les volontaires ont conscience que c'est un mission à haut risque où toute erreur se paye cash et le service d'urgence est aux abonnés absents.

Mais voyons le bon côté des choses. Parmi les retombées du programme Artémis, toutes ces nouvelles technologies ne seront pas perdues car elles pourront être réutilisées sur Terre (cf. les retombées de l'espace) ou sur Mars.

Installation de la base lunaire

Le fait que la Lune soit tectoniquement active et génère des séismes aura des conséquences sur l'exploration humaine. Pour rappel, on enregistra quelque 35000 tremblements de lune en 50 ans, comprenant des séismes thermiques, des impacts de météorites et des séismes peu profonds, ces derniers étant situés parfois sur des failles de chevauchement (des escarpements) clairement identifiables. Les tremblements de lune peu profonds peuvent provoquer de fortes secousses sismiques, de sorte que l'emplacement des failles peut déterminer la sélection des sites pour les futures bases lunaires qui seront installées à long terme. Mais comme sur Terre, pouvant difficilement prédire quand et à quel endroit surviendra un séisme, il faut espérer qu'il n'y en aura pas juste à l'emplacement d'une base lunaire car plus qu'ailleurs, sur la Lune les dommages peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les astronautes.

Vers la mission Artémis VI ou les suivantes, lorsque les problèmes seront résolus et que le site de la future base lunaire sera choisi, on pourra envisager de s'installer sur la Lune. 

Illustrations de la base lunaire et des bâtiments en cours de construction grâce à une imprimante 3D imaginées par l'artiste Nick Henning (2021).

Des équipes de quatre astronautes partiront vers la Lune pour une mission d'une semaine voire davantage selon les ressources disponibles afin de bâtir le coeur de la base lunaire.

On commencera par installer des logements préfabriqués. Plus tard on pourra bâtir des infrastructures grâce à la technologie de l'impression 3D comme cela se fait déjà ici bas (des robots peuvent par exemple ramasser le régolite, le mélanger à de la colle et alimenter l'imprimante 3D qui bâtira les murs des habitats selon un plan préprogrammé). Par la suite ou simultanément, on peut envisager d'enterrer les habitats pour les protéger du rayonnement et des impacts.

Plus tard, la NASA devait installer une usine d'exploitation automatique avant le retour d'équipages prévu un an plus tard. Le but est comme on reçoit les clés d'une maison que lorsque est bâtie, que la base lunaire soit viable lorsque les astronautes prendront possessions des lieux.

On estime aujourd'hui qu'il faudrait 60 missions lunaires pour assurer la viabilité du site d'atterrissage. Ces missions, tant scientifiques que d'explorations et logistiques seront en partie robotisées, faisant appel à des robots dotés d'une certaine autonomie, capables de travailler à distance sans la supervision d'un humain. Comme nos militaires le font déjà en missions, lors des EVA, les astronautes disposeront de rovers qui leur permettront d'explorer le terrain et seront assistés par des robots "mules" qui transporteront leur matériel.

En même temps que des sondes spatiales exploreront les ressources lunaires en surface, les Américains achemineront de l'équipement lourd sur la Lune : générateur d'électricité, antennes, rovers, grues, bulldozers, etc. Si le projet est toujours d'actualité et si la nouvelle génération de vaisseaux spatiaux le permet, on pourra alors envisager de construire un astroport sachant que les vols vers la Lune deviendront réguliers.

Exploitation des ressources vitales

Lorsque la base lunaire sera opérationnelle, il faudra vivre sur la Lune, c'est-à-dire dans le milieu le plus hostile que l'homme ait connu à ce jour, confronté au vide spatial, aux écarts de température et aux rayonnementss ionisants sans même parler du risque d'impact météoritique et des maladies.

Dans un premier temps, comme les matières premières et les infrastructures, la nourriture sera acheminée depuis la Terre. Les astronautes appliqueront sur la Lune les procédures utilisées dans la station ISS; ils se nourriront uniquement d'aliments préparés qui seront réhydratés et réchauffés à la demande complétés par des jus, des fruits secs et certains desserts (type crème) préconditionnés dans des emballages hermétiques (pas question de disperser des miettes ou des smarties qui risquent de bloquer certains orifices vitaux).

Pour l'eau, si au début elle sera également acheminée depuis la Terre, à terme les astronautes pourront peut-être tirer profit de la glace d'eau présente dans le fond des cratères qui ne voient jamais la lumière du Soleil, notamment près du pôle Sud comme le cratère Shackleton présenté ci-dessus. Ce cratère et des dizaines d'autres pourraient constituer des réservoirs d'eau glacée.

Mais exploiter la glace d'eau lunaire est un programme en soi. D'abord elle n'est pas disponible comme telle mais mélangée aux roches qui doivent donc subir un traitement spécial pour extraire l'eau. Actuellement on ignore quelle quantité d'eau renferme la Lune. Il faut envoyer une sonde sur place pour le savoir (cf. la mission Viper de la NASA) et espérer qu'on pourra quantifier la quantité de glace disponible sinon il faudra y renoncer et apporter l'eau depuis la Terre.

Les astronautes peuvent également fabriquer l'eau sur place en appliquant le principe de la pile à hydrogène, par électrolyse inverse, où H + O → HO. Mais de l'hydroxyle n'est pas encore de l'eau. A ce jour le centre Goddard de la NASA travaille sur la formule mais n'a pas encore réussi à produire de l'eau.

Une alternative intéressante consiste à utiliser un composant naturel des mers lunaires, l'ilménite ou oxyde de fer-titane (FeTiO3) et l'énergie produite par des fours et des panneaux solaires (cf. les essais de SolarPACES).

Le processus réalisé dans un réacteur solaire comprend deux étapes : la production d'eau puis d'oxygène.

Dans une première étape, on combine l'ilménite à de l'hydrogène que l'on chauffe à plus de 900°C pour obtenir de l'eau :

FeTiO3 + H2 + chaleur solaire → Fe + TiO2 + H2O

Dans une seconde étape, on réalise une électrolyse à partir de l'eau produite :

H2O + courant électrique → H2 + ½ O2

L'oxygène est récupéré et l'hydrogène est renvoyé dans le réacteur.

Illustrations d'astronautes en mission près du pôle Sud de la Lune. Documents T.Lombry.

Concernant l'énergie, selon les estimations, sachant que les jours lunaires durent 14.75 jours terrestres ou 354 heures (la révolution synodique de la Lune est de 29j 12h 34m), la surface lunaire permet de générer 6000 kWh par mètre carré par an. Si les astronautes ont besoin de 5 à 10 heures de lumière par pour, ce n'est donc pas un problème. Puisque les nuits lunaires durent également 14 jours, en installant une base près du pôle Sud, on peut réduire la durée d'obscurité entre 3 et 5 jours. Ce sera très précieux pour alimenter les panneaux solaires. A ce sujet, les parois ou les remparts des cratères et les sommets des montagnes éclairées par le Soleil offriront de bons emplacements pour collecter l'énergie solaire.

Mais dans tous les cas, même si pendant les longues nuits lunaires les astronautes peuvent éviter de sortir et travailler dans leur habitat quelques jours, ils devront malgré tout s'habituer à travailler plusieurs jours en extérieur dans l'obscurité, une contrainte supplémentaire dans un environnement déjà hostile.

Pour la chaleur, si on peut la produire par des radiateurs électriques reliés aux panneaux solaires, on peut aussi la produire à partir de régolite. Des fours solaires à concentration sont capables d'atteindre des températures de 800 à 1050°C (au-delà la réaction chimique crée du frittage).

Développement d'une agriculture et d'une industrie

A plus long terme, c'est-à-dire dans plusieurs décennies qui a priori nous rapprochent plus de 2100 que de 2050, les astronautes devront développer une agriculture et une industrie locales en tirant si possible profit des conditions et des ressources lunaires. Cela passera obligatoirement par des serres hydroponiques (on peut envisager une culture en pleine terre mais il faudra alors mieux contrôler la qualité de l'air dont la présence éventuelle de polluants, de micro-organismes voire d'insectes) en profitant au maximum de l'énergie solaire et des moyens de recyclage. Dans le domaine de l'agroalimentaire et tout spécialement végétal, les chercheurs feront appel à l'ingénierie génétique et aux hybridations. Mais il restera toujours le problème de la faible gravité qui imposera de prendre des précautions avec les aliments qui s'effritent facilement. Quant à la viande sur pied, ce sera dans un avenir plus lointain.

Lorsque tous les quartiers d'habitation seront opérationnels et les moyens de survie assurés à long terme (au moins 1 an), des équipes d'astronautes pourront venir spécialement sur la Lune pour mener des missions d'exploration durant 6 mois. Si tout se déroule comme prévu, d'autres équipes pourront préparer le premier voyage vers Mars, cette fois à bord d'une fusée traditionnelle. Mais beaucoup de choses peuvent changer d'ici là et notamment les moyens de propulsion et le financement de ces ambitieux projets.

Enfin, probablement pas avant le XXIIe siècle, on peut imaginer une base lunaire de plusieurs hectares contenant des habitats, des laboratoires, des serres, des ateliers, des garages, une base de lancement, etc, recevant périodiquement des visiteurs transitant par une navette spatiale depuis la passerelle orbitale, c'est-à-dire la concrétisation du rêve d'aventure d'Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick marquant l'entrée de l'humanité dans une ère nouvelle, celle de la colonisation de l'espace. Ensuite, si le projet est rentable, on pourrait installer d'autres bases lunaires.

Entre-temps, on peut imaginer qu'avant 2100 des touristes (fortunés) survoleront la Lune. Mais ils devront aussi être prêts à risquer leur vie.

Le XXIIe siècle marquera le début d'une nouvelle Aventure humaine pour celui qui deviendra à terme l'Homo sapiens cosmicus, c'est-à-dire un être humain né et vivant en dehors du berceau de la Terre et qui sera progressivement adapté aux conditions de vie qui ne sont plus tout à fait celles régnant sur la terre de ses aïeux.

L'initiative CLPS

Le nouveau programme CLPS (Commercial Lunar Payload Services) de la NASA est un projet de services à long terme faisant partie du programme Artémis qui fut lancé en 2023. Il permet à l'agence spatiale américaine de déléguer et sous-traiter le développement des vaisseaux d'exploration lunaire à des sociétés privées qui emporteront son matériel scientifique. Par la même occasion, la NASA se décharge également des risques.

L'objectif est de réduire les coûts pour l'agence publique, de pouvoir faire des transferts plus fréquents vers la Lune, mais aussi de développer une économie lunaire. Et ce malgré les risques d'échec (pour rappel en janvier 2024, une première mission Peregrine menée par l'entreprise américaine Astrobotic, n'avait pas réussi à atteindre la Lune).

Le rover lunaire FLEX imaginé par Venturi Astrolab pour le programme Artémis de la NASA.

En 2024, la NASA sélectionna les entreprises américaines Venturi Astrolab, Axiom Space et Odyssey Space Research pour fabriquer un véhicule lunaire (LTV) pour le programme Artémis. Le rover de Venturi s'appelle FLEX et fut en partie développé en Europe (voir plus bas).

Le contrat signé entre la NASA et Venturi s'élève à 1.9 milliard de dollars. Les trois entreprises peuvent se voir attribuer des commandes au cours des 13 prochaines années pour une valeur potentielle totale de 4.6 milliards de dollars. En outre, les contrats prévoient deux années supplémentaires pour les prestations de service.

Alunissage de la première sonde spatiale privée

Dans le cadre de l'initiative CLPS précitée qui fait partie du programme Artémis de la NASA, pour la première fois dans l'histoire de l'astronautique et des missions lunaires, une sonde spatiale d'une entreprise privée s'est posée sur la Lune le 22 février 2024 à 23h23 GMT. La mission nommée IM-1 comprend un alunisseur de classe Nova-C Odysseus construit par l'entreprise américaine Intuitive Machines. C'est un contrat qui s'éleva à 118 millions de dollars.

Illustration artistique de l'alunisseur Nova-C Odysseus d'Intuitive Machines qui se posa sur la Lune le 22 février 2024 (et bascula sur le côté).

L'alunisseur fut lancé le 15 février 2024 par une fusée Falcon 9 de SpaceX. Petit imprévu, le télémètre laser qui devait normalement permettre à l'appareil de se guider n'a pas fonctionné, mais une solution de secours fut trouvée en utilisant l'instrument NDL (Navigation Doppler Lidar) de la NASA qui devait normalement être seulement testé durant la mission. Utilisant la technologie Doppler LIDAR, le NDL permit de réaliser cette fonction vitale. Notons que durant la descente finale, la sonde était totalement autonome.

Selon Steve Altemus, président et CEO co-fondateur d'Intuitive Machines, l'alunisseur ne s'est pas posé correctement et bascula sur le côté. Les données suggèrent que l'un de ses pieds heurta la surface provoquant son basculement du fait qu'il était encore animé d'une impulsion latérale au moment de l'alunissage. Bien qu'elle soit allongée sur le sol, la sonde spatiale est opérationnelle (cf. ce dessin et cette vidéo sur YouTube).

Selon Bill Nelson, l'administrateur de la NASA, "Pour la première fois en plus d'un demi-siècle, les Etats-Unis sont de retour sur la Lune [...] pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, une entreprise privée, une entreprise américaine, a décollé et mené le voyage jusque là-haut."

Le site d'alunissage se trouve à environ 300 km du pôle Sud de la Lune, dans le cratère Malapert A. Le pôle sud lunaire fut choisi car il s'y trouve de l'eau sous forme de glace, qui pourrait être exploitée à l'avenir.

L'alunisseur Nova-C Odysseus en forme d'hexagone mesure un peu plus de 4 m de haut et pèse 1900 kg. Il contient 12 charges utiles : six instruments scientifiques de la NASA et six cargaisons commerciales.

Les charges utiles de la NASA sont fortement orientées vers le développement technologique et comprennent les instruments suivants :

- un LIDAR Doppler (NDL) précité pour collecter des données sur la vitesse et l'altitude de l'alunisseur pendant sa descente

- une caméra (SCALPSS, Stereo Cameras for Lunar Plume-Surface Studies) pour étudier le panache de poussière lunaire créé par le moteur lors de l'alunissage de la sonde spatiale,

- un instrument (RFMG, Radio Frequence Mass Gauge) qui utilise la technologie radiofréquence pour mesurer la quantité de propulseur dans les réservoirs de l'alunisseur

- une balise de navigation de démonstration (LN-1, Lunar Node 1 Navigation Demonstrator) qui pourrait être utilisée dans le cadre d'un futur système de navigation lunaire

- un rétroréflecteur laser (LRA, Laser Retro-Reflector Array) pour une télémétrie précise qui fut également utilisé sur d'autres alunisseurs, notamment sur la sonde Chandrayaan-3 de l'Inde et le SLIM du Japon

Illustration de l'alunisseur Nova-C Odysseus fabriqué par Intuitive Machines.

- l'instrument d'observation radio de la gaine photoélectronique de la surface lunaire (ROLSES, Radio wave Observation at the Lunar Surface of the photoElectron Sheath) qui permet d'effectuer des mesures radioélectriques à basse fréquence de diverses sources de bruit radio provenant de la Terre, du Soleil et de l'alunisseur lui-même, ainsi que de la gaine d'électrons située juste au-dessus de la surface lunaire créée par la lumière du Soleil.

Les cargaisons commerciales comprennent les objets suivants :

- les données d'archives Lunagram de Galactic Legacy Labs

- un prototype de charge utile du centre de données lunaire de Lonestar Data Holdings

- une caméra astronomique ILO-X de l'International Lunar Observatory Association (le précurseur d'un projet d'observatoire au pôle sud lunaire)

- un matériau thermoréfléchissant appelé Omni-Heat Infinity développé par Columbia Sportwear

- une caméra EagleCam développé par des étudiants de l'Université aéronautique Embry-Riddle de la taille d'un cubesat de 1.5U (il fut éjecté de l'alunisseur lors de sa descente afin de prendre des images de l'alunissage)

- une sculpture de l'artiste contemporain Jeff Koons représentant les phases de la Lune.

La sonde spatiale est alimentée en énergie grâce à des panneaux solaires qui délivrent 200 W de puissance, lui permettent de fonctionner durant 14 jours environ, avant que la nuit ne s'installe sur la région du pôle sud lunaire.

Intuitive Machines a déjà planifié une deuxième mission lunaire (IM-2) équipée du rover LTV et construit pour d'autres entreprises privées de nouvelles sondes d'exploration lunaire capables d'embarquer une charge utile de 1000 kg, des sous-systèmes de support pour les futurs habitats lunaires et étudie un moteur à fission capable de développer au moins 40 kWe, parmi d'autres projets.

L'ESA et le secteur privé européen comme partenaires

Comme tous les contractants et partenaires de la NASA, tous les industriels du secteur spatial espèrent avoir une part du gâteau de l'aventure spatiale et un jour signer un contrat avec l'agence américaine pour des montants qui s'élèvent souvent à plus de 100 millions de dollars. Ces budgets permettent soit de lancer un prototype (proof of concept) afin de valider la faisabilité d'un projet ou de carrément lancer la fabrication d'un produit fini qui sera livré clé en main.

Concernant l'Europe spatiale, l'ESA a subi des retards. Ses lanceurs de nouvelle génération, Vega C et Ariane 6, ne seront pas prêts avant mi-2024. D'autres projets sont en cours (lanceur réutilisable, cargo spatial, etc) mais ils demanderont encore plusieurs années de développement.

En fait, l'ESA n'a pas les moyens de concurrencer le secteur privé américain et se tient juste à niveau pour rester indépendante. Ceci dit, elle fournit des éléments essentiels au programme Artémis comme un des sous-sytèmes de propulsion de la fusée, les modules habités pressurisés et le module de service de la capsule Orion.

Mais ne nous faisons pas d'illusions. Comme dans tous les secteurs économiques, malgré les règles régissant les offres publiques, l'essentiel des commandes de la NASA reste entre les mains de sociétés américaines, y compris de ses partenaires historiques tels que Lockheed Martin. Car même si ces entreprises ne remportent pas le contract avec la NASA, elles ne manquent pas une occasion de collaborer avec les contractants privés.

A lire : Artemis Partners, NASA

Doing Business with NASA

C'est ici que l'ESA et les entreprises privées européennes (de même que d'autres pays comme le Japon et les UAE par exemple) ont encore un rôle à jouer. Les contractants et les partenaires américains de la NASA peuvent sous-traiter certains développements à d'autres sociétés, y compris européennes, soit directement avec une entreprise soit à travers l'ESA. Citons quelques exemples.

La société franco-italienne Thales Alenia Space signa un contrat avec l'Agence Spatiale Italienne (ASI), elle-même sous contract avec la NASA pour concevoir un habitat lunaire pressurisé et polyvalent (MPH, Multi-Purpose Habitat). En parallèle, Thales Alenia Space fabrique déjà trois modules pressurisés destinés au Gateway lunaire (Esprit et I-HAB pour l'ESA et Halo pour Northrop Grumman). Le rover lunaire FLEX du constructeur américain Venturi Astrolab est équipé de batteries et de roues développées par les équipes de Gildo Pastor installées à Monaco et en Suisse. La NASA a signé avec la Belgique les "Accords Artémis" pour les futurs missions spatiales vers la Lune et Mars. Enfin, dans le cadre du projet ESRIC, un petit pays comme le Luxembourg a également sa place dans le programme Artémis via son partenariat avec l'ESA.

La Lune, plate-forme d'observation de l'univers

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[1] Wernher von Braun, "Les premiers hommes sur la Lune", Albin Michel, 1961, p52, p58.


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