Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

La chimie prébiotique

Le ballon prébiotique. Document du Scripps Institution of Oceanography.

écrit en collaboration avec le Dr Cyril Ponnamperuma, U.Maryland

Introduction (I)

Peut-on reproduire en laboratoire les conditions primitives de la vie sur Terre ? Et peut-on même imaginer créer la vie à partie de quelques molécules inertes ? Si cette idée à des relents de science-fiction, elle repose néanmoins sur des données scientifiques et fut testée expérimentalement par plusieurs biochimistes.

En 1922, le biochimiste soviétique Alexandre Oparine[1] parvint à créer de petites structures sphériques appelées coacervats à partir d'une émulsion contenant des protéines (histones) et de la gomme arabique. Il s'agissait de minuscules sphérules colloïdales, c'est-à-dire des particules de quelques microns de diamètre (10-7 à 10-3 cm) en suspension et liées entre elles, dont la substance ne pouvait être séparée mécaniquement. Parmi les substances colloïdales citons les polymères, les protéines, les émulsions, les pâtes ou les savons.

Ces corps ont la propriété d'être séparés du monde par une surface hydrophobe (il ne s'agit pas encore des lipides). Ces gouttelettes sont stables et ressemblent à de petites cellules. Ces émulsions et autres polymères se rapprochent du brouillard. Oparine découvrit qu'en présence de catalyseurs, ces coacervats échangeaient des substances avec le monde extérieur, grossissaient et finissaient par se multiplier. C'est en partant de cette expérience qu'Oparine imagina pouvoir synthétiser un système vivant à partir d'une soupe de molécules, d'un peu d'eau et de l'énergie du rayonnement ultraviolet.

Cette hypothèse fut reprise en 1929 par le généticien anglais John Haldane[2] qui compris que cette synthèse ne pouvait pas évoluer dans une atmosphère oxydante, en présence d'oxygène. En effet, trop d’oxygène oxyde les molécules. Rappelez-vous l’oxydation du fer en rouille. L’oxygène ne permet donc pas la survie des molécules organiques qui ne peuvent se développer qu’à l’abri de ses attaques, dans une atmosphère réductrice.

De l'inerte au vivant. A gauche, les coacervats, des substances colloïdales renfermant un milieu propre (comme par exemple des gouttelettes de lipides en suspension). Au centre, des vésicules, c'est-à-dire des organites séparées du milieu extérieur par un bicouche lipidique. A droite, des cyanobactéries prochloron, une des nombreuses espèces d'algues bleues, les ancêtres des chloroplastes. La différence est que les coacervats sont inertes sur le plan du métabolisme tandis que les algues sont des eubactéries, de la matière vivante auto-organisée. La question est de savoir comment la vie est apparue dans ces dernières ? Documents anonymes.

Ce scénario repose sur l'intervention d'une chimie particulière qui repose sur le carbone : la chimie organique, en présence d'un solvant particulier, l'eau liquide et de sels. La question est de savoir comment la vie a-t-elle pu émerger à partir de quelques éléments inertes, comment tout cela a-t-il commencé sur Terre ?

L'expérience de Miller

C'est le chimiste Stanley Miller[3] de l'Université de Chicago qui réalisa cette expérience en 1953 pour sa thèse de doctorat. Il fut aidé par son professeur Harold Urey qui, un an plus tôt avait décrit quelles étaient les conditions prébiotiques favorables à l'émergence de la vie. Ils allaient confirmer l'idée d'Oparine.

A. Les conditions

Pour réaliser notre expérience nous avons besoin de matière première. La composition du Soleil est la composition moyenne du système solaire. Si nous retirons l'hélium qui est un gaz inerte, nous avons l'hydrogène, l'oxygène mais dont l'atmosphère primitive devait être très pauvre, l'azote et le carbone parmi les éléments les plus abondants. Ces éléments forment 99.5% de la biosphère. Leurs composés sont la vapeur d'eau (H2O), le méthane (CH4) et l'ammoniac (NH3). Cette atmosphère est semblable à celle de Jupiter actuellement. 

A gauche, Stanley Miller photographié peu après sa thèse de doctorat en 1953 dans son laboratoire à l'Université de Chicago. A droite, Stanley Miller photographié en 1996. Documents Bettmann Archives et Chronicle Future.

Quelles sont les sources d'énergie disponibles ? Le rayonnement ultraviolet du Soleil était chimiquement très puissant car la couche d'ozone n'était pas encore constituée, mais il y avait également les décharges électriques des orages, les rayons cosmiques, les météores, la radioactivité naturelle de l'écorce terrestre ou dissoute dans les océans ainsi que la chaleur, l’énergie libérée par le coeur des volcans et les ondes de choc générées par les impacts météoritiques. Toutes ces formes d'énergie auraient été responsables de la synthèse des composés organiques. Dans notre "manip", l'énergie ultraviolette du Soleil est simulée par une source d'argon. Notons que pour simuler les particules Beta, les électrons émis pendant la décroissance des éléments radioactifs de la Terre primitive, Cyril Ponnamperuma utilise un accélérateur linaire de 4.5 MeV.

B. La synthèse des acides aminés

L'étape suivante est la reproduction de l'évolution chimique en laboratoire avant de rechercher ses traces dans le cosmos[4]. A partir de l'atmosphère primitive, nous devons arriver aux acides nucléiques et aux protéines. Pour le chimiste, le problème peut alors se diviser en deux parties : faire la synthèse des petites molécules indispensables à la réaction et observer si les mêmes types d'énergie de base peuvent les rapprocher pour faire naître de plus grosses molécules que sont les protéines et les acides nucléiques.

Disposons ces différents éléments chimiques dans un ballon, sorte de grosse éprouvette. Nous considérons que l'atmosphère se trouve dans la partie supérieure du ballon. La partie inférieure représente l'océan. La jonction est chaude et un condenseur froid permet d'établir une circulation dans l'éprouvette. Les décharges dans l'atmosphère supérieure permettent la synthèse des molécules organiques qui seront récoltées dans l'océan du bas. Etant donné qu’il est difficile de travailler avec des rayons ultraviolets dans la région d’absorption de ces gaz réducteurs (sous 200 nm), cette source d’énergie a été remplacée par des décharges électriques (libérant des éclairs de 60000 volts).

A consulter : Origins of Life: Experiment #1, Adam W. Brown

L'expérience de Miller

Les ingrédients de base de l'expérience de Miller sont des molécules organiques simples mais très réactives: azote, méthane et ammoniac qui, mélangés à de la vapeur d'eau dans le ballon supérieur forment les constituants de la "soupe primitive". Irradiés par des particules bêta (électrons de 4.5 MeV), ces ingrédients se transforment en nitriles dans le ballon inférieur. Polymérisés par l'action de la lumière ultraviolette puis mélangés à de l'eau, ces nitriles forment des acides aminés que l'on retrouve dans la structure de l'ADN et de l'ARN. A droite, Cyril Ponnamperuma reproduisant l'expérience de Miller. Documents T.Lombry et Otis Imboden/NGS.

En irradiant le mélange gazeux d'argon, au bout de 24 heures d'expérience 95% du méthane de départ est converti en composés organiques, base de tout l'édifice de notre existence et connus sous le nom de nitriles (de formule générale R-C≡N tels que le HCN, HC3N, C2N2, etc.). En combinant ces nitriles avec de l'eau, nous obtenons quelque 10 acides aminés qui sont les éléments de base des protéines et à l'origine de la vie, depuis les microbes jusqu'aux plus gros mammifères. C'est la chimie du carbone.

En moins de 24 heures nous pouvons tenter une expérience qui a pu durer longtemps dans les conditions primitives terrestres. En pilonnant le gaz de particules β les interactions qui se déclenchent dans le mélange gazeux produisent de l'adénine (A) en bien plus grande quantité que tous les autres produits non volatils mis ensembles.

Cette molécule simple est très importante. L'adénine est une base purique que l'on retrouve dans l'ADN et l'ARN, c'est aussi le composant essentiel de l'ATP qui transporte l'énergie, comme de certains coenzymes qui servent à la catalyse. Et ce qui peut-être défini comme un processus aléatoire a permis l'apparition de cette molécule qui résulte de la pentamérisation du plus simple nitrile, l'acide cyanhydrique HCN.

A gauche, les bases azotées (dont les bases nucléiques A, G, T, C, U) découvertes dans les météorites carbonées. A droite, les 21 acides aminés protéinogéniques. La sélénocystéine joue un rôle particulier en provoquant l'arrêt de la traduction et donc de la synthèse protéique. Documents T.Lombry et adaptation de Compound Interest.

Quelle que soit l'énergie utilisée, l'HCN est à chaque fois généré. Cette molécule se lie facilement pour former des molécules plus complexes. C'est donc une molécule essentielle dans la chimie prébiotique dont la détection ravie chaque fois les biohimistes et les exobiologistes.

En exposant l'HCN à la lumière ultraviolette il se forme un grand nombre d'acides organiques : l'adénine (A), la guanine (G), l'uracile (U) et des acides aminés dit aliphatiques : l'alanine, la glycine, l'acide aspartique, l'acide glutamique, etc. Les plus grosses molécules contiennent plus de 100 atomes !

Avec l'uracile qui permet de faire un composé pyrimidique[5], nous obtenons du formaldéhyde (HCHO ou H2CO), une molécule très importante que l'on retrouve dans le noyau des comètes, certaines planètes gazeuses et au sein des nébuleuse diffuses.

Cette troisième tentative génère des molécules organiques complexes (COM) comptant au moins 6 atomes dont un carbone et des macromolécules. L'évolution du formaldéhyde mène au sucre biologique tel le ribose (C5H10O5) et le dioxybose plus quantité d'autres molécules organiques. Entre 50 et 60°C le ribose et les bases puriques et pyrimidiques donnent des acides nucléiques (ADN, ARN). En présence de molécules de phosphate et chauffés à 65°C, les acides aminés se polymérisent pour former des protéines, des chaînes organiques contenant 300000 atomes. Les acides aminés se polymérisent encore lorsqu'ils sont portés à 170°C sur de la lave. Dissoutes dans l'eau, ces macromolécules forment des sortes de microsphères, similaires aux coccoïdes du Précambrien. Pour l'exobiologiste Sidney Fox de l’Université de Miami, ces microsphères sont les ancêtres des premiers êtres vivants.

A consulter : Propriétés des molécules prébiotiques

Des substances entre aromates et poisons

A gauche, les variations de la concentration de l’ammoniac, de l’HCN, des aldéhydes et des acides aminés dans l’expérience de Miller pendant que le mélange gazeux (méthane, ammoniac, eau et hydrogène) est bombardé de décharges électriques. A droite, on constate que l’HCN concentré à 9.9 M à 90° disparaît (courbe inférieure) au profit de la formation de l’adénine (courbe supérieure). Adapté de "Extraterrestrial Life".

Des molécules simples ont donc été nécessaires à la formation des protéines et des acides nucléiques dans une atmosphère qui rappelle des conditions prébiotiques. Les mécanismes de synthèse sont clairs. Ce schéma de réactions jusqu'à la formation des sucres revient à Butlerow en 1861. La formation des acides aminés peut être expliquée par la synthèse de Strecker. La simplicité de ce schéma ne fait aucun doute et on a proposé quantité de supports à l'équation de la "soupe primitive", soutenus par la découverte de ces molécules dans le milieu interstellaire.

Deuxième partie

L'expérience de Miller

Page 1 - 2 - 3 - 4 -


[1] A.Oparine, Proiskhzhdenie Zhizni, Isd.Moskovskii Rabochii, 1924 et traduit in A.Oparine, "L'Origine de la vie sur la Terre", Masson, 1965.

[2] L'article de J.B.S.Haldane fut publié dans J.D.Bernal, "The Origin of Life", Littlehampton Book Services Lt, 1967; "L'origine de la vie", Bordas, 1970.

[3] H.Urey, "The planets: their origin and development", Yale University Press, 1952 - S.Miller, "A Production of Amino Acids Under Possible Primitive Earth Conditions", Science, 117, 1953, p528. L'expérience de Urey-Miller sera recitée quelques années plus tard dans S.Miller et H.Urey, Science, 130, 1959, p245.

[4] Cette explication nécessite quelques notions de chimie. Reportez-vous éventuellement au glossaire pour la définition de quelques termes.

[5] Dans l'uracile, l'hétérocycle (un quasi benzène) a deux radicaux OH. C'est une base azotée, pyrimidique dans laquelle deux C ont été remplacés par deux N.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ