L'OBSERVATION DU SPECTRE DE LA SUPERNOVA 1999ac

 
L'étude du spectre des supernovae est le principal objectif de mes travaux en spectrographie. Cette page montre mon tout premier succès dans l'observation du spectre de ces étoiles explosives. Il s'agit de la supernova 1999ac, découverte le 26 février 1999 (KAIT team) dans le galaxie NGC 6063 (AD=16h07m15.01s, Dec=+07°58'20.4") à la magnitude 15,2. Un spectre réalisé le 28 février (Las Campanas Observatory) a montré que SN1999ac est une supernova de type Ia particulière (IAUC 7122).

Pour réaliser l'observation j'ai utilisé un télescope de 190 mm (F/D=4) avec le dispositif disperseur placé directement dans le faisceau convergent du télescope, juste en avant de la surface sensible du détecteur CCD.

Le disperseur est un réseau à diffraction par transmission de marque Edmund Scientific de 70 traits/mm. Par rapport au réseau Jeulin utilisé jusqu'à présent les différences sont  faibles (si ce n'est que le réseau Edmund Scientific est dix fois plus cher, 300$ ! - référence F4068). L'efficacité du nouveau réseau est légèrement supérieure dans l'ordre 1, les sillons sont gravés directement sur un support en verre de 25x25mm et de 3 mm d'épaisseur et surtout, le nombre de traits est plus faible. Ce dernier point implique que la résolution du réseau Edmund est plus faible que celle du réseau Jeulin pour une distance CCD/disperseur donnée, mais en contre-partie, le spectre étant moins étalé, il est aussi plus lumineux, ce qui est tout à fait déterminant pour l'observation des supernovae, qui sont souvent des astres faibles.

Figure 1. Le réseau à transmission Edmund Scientific (dans la pièce d'aluminium brute et maintenu avec du ruban adhésif...) qui se glisse dans le porte-filtre de la caméra Audine.

Pour l'occasion, la caméra Audine était équipée du tout nouveau CCD Kodak KAF-0401E. Les avantages de ce CCD par rapport au traditionnel KAF-0400 sont une sensibilité 1,6 fois supérieure dans la partie verte du spectre et une sensibilité spectrale étendue jusqu'à pratiquement 3000 A (au lieu de 4000 A pour le KAF-0400 standard).

L'observation a été réalisée dans un milieu urbain (Ramonville Saint Agne, près de Toulouse).

La surface gravée du réseau de 70 traits/mm se situait 19,86 mm en avant du CCD. La dispersion est de 64,65 A/pixel.

Figure 2. Spot-diagrammes réalisés avec un programme de tracé de rayons montrant la dimension de la tache image sur la surface du CCD pour la configuration optique utilisée lors de l'observation de SN 1999ac. Les graduations sont en millimètres. A gauche, on trouve l'image à l'ordre zéro (image directe, non diffractée d'une étoile). On remarque que cette image est légèrement défocalisée (l'obstruction centrale est visible). Puis, en allant de gauche à droite, on trouve respectivement pour l'ordre 1 les taches images pour les longueurs d'onde de 300 nm, 500 nm et 700 nm.

La surface focale sur laquelle se forme le spectre à un rayon de courbure de l'ordre de R = 20/3 = 6,7 mm. La longueur d'onde de 750 nm dans l'ordre 1 se trouve à environ h = 1 mm de l'image d'ordre 0. La flèche de la surface focale fournie la valeur de la défocalisation pour ce point du spectre si on se focalise exactement à l'ordre zéro. La flèche x est donnéee par la formule x = R - SQR(R2 - h2). On trouve ici x = 80 microns, ce qui est relativement faible. Evidemment, on améliore la qualité du spectre en défocalisant légérement l'image à l'ordre 0.

On note sur la figure 2 que dans tous les cas (sauf peut-être pour l'infrarouge) les taches images théoriques ont une taille inférieure où égale à la dimension du pixel (celui-ci à 9 microns de coté). Dans le cas présent, compte tenue de la petite distance réseau/CCD adoptée, ce ne sont pas les aberrations optiques qui limitent la résolution spectrale, mais le seeing. La largeur à mi-hauteur des étoiles (FWHM) étant de l'ordre de 1,9 pixel, et vu de la dispersion spectrale, on considère que la résolution spectrale est de 125 A.

L'image ci-après montre le résultat du compositage de 43 images posées 2 minutes chacune (soit un temps de pose cumulé de 1 h 26 m) réalisées le 20/3/1999 entre 0H53 et 3H10 TU.

Figure 3. Le champ de la galaxie NGC 6063, visible au centre. La position de la surpernova est repérée  par une croix. Le spectre de la supernova est surligné par un trait bleu. Remarquez que le spectre de la galaxie est faiblement visible.

La grande sensibilité dans le bleu du CCD KAF-0401E pose un nouveau problème en raison du recouvrement d'ordres. En effet, à partir de 6000 A environ le spectre d'ordre 1 est pollué par le début du spectre d'ordre 2 (la partie bleu de ce spectre, vers 3000 A). Normalement pour exploiter la partie rouge du spectre d'ordre 1 il est nécessaire d'interposer dans le faisceau un filtre passe-haut, c'est-à-dire un filtre qui laisse passer les grandes longueurs d'onde et bloque le bleu. En pratique, le spectre d'ordre 2 reste relativement peu intense pour des longueurs d'ondes inférieures à 4000 A, si bien que nous faisons l'hypothèse que le spectre d'ordre 1 est utilisable jusqu'à 8000 A.

L'image d'ordre 0 de la supernova est parfaitement utilisable pour effectuer de la photométrie en lumière totale (lumière blanche). On mesure sur cette image une magnitude de 14,78 en utilisant le GSC comme référence.

La figure suivante montre le profil spectral de SN1999ac. C'est un profil brut dans le sens où il n'a pas encore été calibré photométriquement. Seul un étalonnage spectral sommaire a été effectué. En conséquence la réponse spectrale du CCD module considérablement l'allure du spectre, ce qui perturbe son interprétation.

Figure 4. Le spectre de la supernova 1999ac le 20/3/1999. Remarquez que l'échelle verticale est relative et que la calibration photométrique n'a pas été faite.

Ce spectre montre des absorptions entre 4700 et 5200 A, à 4400 A, à 3700 A, à 6200 A et 6600 A. A partir de 6900 A le flux chute rapidement. Malheureusement, il ne semble pas exister de spectre publié de cette supernova à ce jour. Les seules informations sur le spectre de SN1999ac proviennent de la circulaire UAI 7122 où il est signalé que les raies Fe III à 4300 et 5000 A sont bien marquées ainsi que les raies H et K du Calcium vers 3800 A. La raie d'absorption du Si II est aussi signalée vers 6350 A. L'allure du spectre au delà de 7000 n'est pas décrite. Le spectre de SN1999ac est relativement comparable à celui de SN1999aa d'après la circulaire UAI 7122.

La figure ci-après montre en superposition le spectre de SN1999ac (en rouge) et celui de l'étoile SAO83560 (en bleu) de type A0V, observée la même nuit et avec la même résolution.

Figure 5. En rouge, le spectre de la supernova 1999ac. En bleu, le spectre de SAO83560 (type A0V).

La comparaison de ces deux spectres montre clairement que l'absorption vers 5000 A n'est pas due à un accident lié à la réponse spectrale du CCD. De même, la bande vers 4300 A semble bien réelle, ainsi que celle vers 6200 A. Tous ces détails correspondent à la description du spectre de SN1999ac dans la circulaire UAI 7122. La bande d'absorption vers 7200 A semble elle aussi bien réelle. Pour aller plus loin dans l'interprétation il est obligatoire de calibrer photométriquement le spectre en retirant la contribution de la réponse spectrale du CCD. Grâce à l'observation du spectre de SAO83560 la même nuit, cette opération est relativement aisée.

La figure 6 présente en rouge le spectre synthétique d'une étoile A0V (Pickles, PASP, 110 :863-878, 1998 July). Ce spectre, au pas de 5 A par point, a était lissé  afin de dégrader la résolution spectrale pour qu'elle soit équivalente à celle de notre spectrographe de champ (courbe en bleu).

Figure 6. Le spectre synthétique de référence qui va servir à déduire la réponse spectrale de l'instrument....
Figure 7. Le spectre brut de l'étoile SAO83560 (en rouge) et le spectre de référence synthétique lissé à une résolution équivalente (en bleu). Quelques raies spectrales ont été identifiées.
Figure 8. La division du spectre de l'étoile SAO83560 par le spectre de référence donne la réponse de l'instrument, qui est pour l'essentiel la réponse spectrale du CCD (ici en intensité relative). Pour simplifier le traitement, la transmission atmosphérique n'a pas été prise en compte. C'est légitime car la supernova a été observée à une distance zénithale proche de celle de l'étoile SAO83560.
Figure 9. Le spectre non calibré photométriquement de la supernova 1999ac. Cette figure est équivalente à la figure 4, mais avec une représentation différente.
Figure 10. Le spectre de la figure 9 a été divisé par la réponse instrumentale (figure 8). Le résultat est le spectre calibré photométriquement (en intensité relative) de la supernova 1999ac. Quelques raies supposées ont été indiquées. Elles sont caractéristiques d'un spectre de supernova de type Ia proche du maximum de brillance. Ce spectre s'avère être extrèmement proche de celui de la supernova 1998eg ou de la supernova 1998dh. La relative faible profondeur de la raie du Si II à 635 nm dans SN 1999ac semble accord avec les indications de la circulaire UAI 7122 ("the Si II 635.5-nm absorption weak").
 
Le spectre de la figure 10 révèle sans ambiguïté que l'on a affaire à une supernova de type Ia. A la vue de ce résultat ont peut affirmer que l'observation du spectre des supernovae par les amateurs est du domaine du possible et probablement bien au delà de ce que cette présente observation laisse entendre. En effet, il faut rappeler ici le modeste diamètre du télescope utilisé : 190 mm (en fait, plus proche de 180 mm si on considère la forte obstruction centrale). De plus, le site d'observation est extraordinairement défavorable pour ce type d'observation en raison du très haut niveau du fond de ciel induit par la pollution lumineuse. A ce propos, une analyse fine de la magnitude surfacique du fond de ciel a été effectuée la même nuit que l'observation de SN1999ac. On trouve 18,5 par arcsec2 en B, 16,9 par arcsec2 en V, 16,6 par arcsec2 en R et 16,9 par arcsec2 en I.  A titre de comparaison, dans un site de plaine, bien dégagé des lumières parasites, la brillance du fond de ciel en V est typiquement de 19,9 par arcsec2 (et 21,0 sur les meilleurs site de la planète). En d'autre terme, le fond de ciel à Ramonville Saint Agne est 15 fois plus lumineux qu'un bon ciel de campagne. C'est un écart tout à fait considérable ! Malgré cela, le spectre de SN1999ac est perceptible sur une image brute posée 2 minutes. Au vu de ces résultats, il apparaît à présent qu'un observateur exploitant un télescope de 300 mm dans un bon site doit être en mesure de faire un suivi du spectre des supernovae jusqu'à la magnitude 17,5 environ. Cela ouvre vraiment quelques perspectives pour les astrophysiciens amateurs motivés !
 



 
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