PHOTOMETRIE HAUTE PRECISION AVEC LES APPAREILS PHOTO NUMERIQUES

Le cas de HD189733


Voir ici une observation photométrique réussi de la planète extraosolaire HD189733b
See here un succesfull observation of HD189733b exoplanet


 Un compagnon planétaire remarquable a été découvert autour de l'étoile HD189733 en septembre 2005 depuis l'observatoire de Haute-Provence. Voir :

http://www.obs-hp.fr/www/nouvelles/new_planet.html
http://www.oamp.fr/actualites/exoplan-systsolaire1.pdf
http://www.obs-hp.fr/www/nouvelles/bouchy5.pdf

Ce compagnon a été détecté à partir du déplacement Doppler qu'il imprime à l'étoile, mais aussi à partir de la variation d'éclat apparent de l'étoile qu'il cause en passant devant celle-ci. L'amplitude de variation d'éclat lors d'une "éclipse" de l'étoile est de 0,03 magnitude environ, ce qui est très élevé pour ce type de phénomène. L'étoile concernée est en outre brillante, de magnitude 7,7. Le phénomène d'éclipse causé par l'exoplanète est donc observable avec des moyens amateurs relativement modestes. Nul doute que cet objet fascinant va être une des cibles favorite des observateurs !

On discute ici la possibilité de détecter photométrique l'exoplanète de HD189733 en utilisant un appareil photographique numérique reflex. La caméra testée est un Canon EOS 350D modifié (le filtre anti-infrarouge interne a été retiré). Cette modification n'est cependant pas déterminante dans le résultat, comme nous le verrons plus loin.

Un test photométrique, hors éclipse, a été réalisée depuis l'observatoire de Castanet-Tolosan (près de Toulouse) en disposant l'appareil numérique au foyer direct d'un Celestron 11 (diamètre de 280 mm). Le champ couvert est d'environ 1/2 degré.  L'observatoire est situé dans un zone urbaine. La partie de nuit utilisée était en outre très loin d'être photométrique, le ciel étant sévèrement obscurci par un voile dense de cirrus à l'avant d'un front perturbé. La transparence du ciel était donc fortement variable.

Pour garantir un niveau de précision satisfaisant, la caméra a été volontairement défocalisée. Le but est double :

(1) En défocalisant, le flux incident est distribué sur un grand nombre de pixels (typiquement 2500 ici) et une grande quantité de ce signal peut être accumuler sans saturer le détecteur (rappel, la dynamique du format RAW du 350D est de 12 bits seulement). La mesure du signal dans les images est réalisée par la technique de la photométrie d'ouverture, parfaitement adaptée à cette situation.

(2) On réduit les problèmes d'échantillonnage associés à la matrice de Bayer qui caractérise le détecteur utilisé (damier CFA de pixels, recouvert de filtres rouge, vert et bleu).


L'image de l'étoile HD189733 défocalisée, en projection sur la matrice de Bayer du capteur CMOS du Canon 350D.

L'image ci-après montre le champ global en sortie de l'APN (Appareil Photo Numérique), en 150 secondes de pose. On a identifié dans cette image l'étoile cible (V) et 3 étoiles de comparaison (C1, C2, C3), utilisées pour la réduction photométrique.


Champ de l'étoile HD189733 au foyer du C11 (pose de 150 s). La taille est réduite d'un facteur 4 par rapport à l'original.
On note l'aspect caractéristique des étoiles défocalisées. Le diamètre de tache image adopté est de 60 pixels.
Le nord est en haut. Une portion de la nébuleuse M27 est faiblement visible sur la droite.

Une des clefs pour atteindre la précision requise avec un APN est de travailler avec des images RAW, mais aussi de traiter de manière distincte les 4 familles de pixels de la matrice CFA. On utilise pour cela la commande SPLIT_CFA de Iris qui produit à partir de l'image RAW 4 nouvelles images, correspondant aux familles de pixels vert (2 images), rouge et bleu. Ce sont ces images splités, qui ont une taille réduites d'un facteur deux par rapport au RAW, qui sont exploitées à partir des outils photométriques standard.


Extrait de la composante rouge de la matrice CFA obtenue en utilisant SPLIT_CFA (visualisation à l'échelle 1). Les cercles photométriques adoptés sont tracés. Le cercle intérieur délimite la zone de mesure de l'étoile. La couronne externe sert à obtenir le niveau du fond de ciel.


Les coordonnées des 4 étoiles sont renseignées dans le boite de dialogue de photométrie automatique de Iris.
Les images de la séquence à traiter ont été au préalable alignées en utilisant la fonction REGISTER.

Bien sur, le prétraitement classique est appliqué avant toute analyse photométrique (soustraction du bias, du dark et division par le flat-field).

Le graphique ci-dessous montre, pour 9 points de mesure successifs,  l'écart en magnitude entre l'étoile "variable" et la magnitude des 3 étoiles de comparaison, dont le signal a été moyenné. Le calage vertical des courbes est arbitraire. Il a été adopté pour permettre d'apprécier la photométrie dans les 4 familles de pixel de la matrice CFA.

Pour cette observation, l'APN est utilisé sans aucun filtre, ce qui signifie qu'il enregistre un fraction de signal significatif dans l'infrarouge. Cela est vrai pour les 4 familles de pixels (voir ici).  Il s'agit donc d'une mesure très large bande. Le temps de pose pour chaque point est de 150 secondes et la sensibilité est réglée sur 200 ISO.

On note que la mesure dans les 4 familles de pixels est assez décorrellée. En moyennant ces informations il y a donc possibilité d'accroire la précision (sous réserve d'effet de couleurs dû à la transmission spectrale de l'atmosphère). Le graphe suivant illustre le résultat de la moyenne.

L'erreur RMS d'estimation de la magnitude sur cette brève période d'observation est d'environ 0,001 magnitude. C'est une très bonne nouvelle compte tenu de la nature de la caméra utilisée et de l'état du ciel. Il faut souligner que l'amplitude du graphe ci-dessus (0,03 magnitude) est justement égale à la variation totale de signal attendue lors d'une éclipse. Ce phénomène est donc parfaitement à la portée d'un caméra type APN.

Pour donner une idée de l'état du ciel lors des mesures, le graphe ci-après montre la variation d'éclat brute de HD189733 (en rouge), et en regard, le résultat de la mesure différentielle (points noirs). Alors que la précision de mesure différentielle est de l'ordre du millième de magnitude, la variation de transmission de l'atmosphère est de 0,2 magnitude !

Une série de mesure a été par ailleurs réalisée en infrarouge en disposant devant le capteur un filtre RG10. La bande passante spectrale est alors 750 nm - 900 nm environ. Le temps de pose est de 180 secondes par point de mesure à ISO200. Le diamètre des taches images défocalisée est de 40 pixels.


Image infrarouge du champ de HD189733.
Noter que les étoiles C2 et C3 ont à présent la même intensité, ce qui n'était pas le cas dans les bandes visibles.

Voici le résultat pour les 4 familles de pixels :

La moyenne des 4 familles de pixels, qui donne une erreur RMS de 0,003 magnitude environ :

Et enfin, voici la variation de l'éclat brute de HD189733 durant l'acquisition de cette séquence :

Cette variation atteint près d'une magnitude en raison de passages nuageux. Malgré cela, le comportement de la chaîne de mesure est peu affecté, ce qui montre quelle a un comportement sain, même dans une situation très difficiles !

L'idée de travailler en infrarouge avec un reflex numérique modifié vient du constat que la réponse des trois familles de pixels R, V et B est plus homogène dans l'IR que dans le visible. En infrarouge, les minuscules filtres colorés disposés devant chaque pixel deviennent transparent de la même manière, et le capteur couleur se transforme en un capteur  monochrome. Les problèmes potentiels d'échantillonnage avec la matrice CFA sont donc en principe atténués.

Cependant, en l'état, l'avantage de l'observation dans l'infrarouge n'est pas flagrant (négatif même, mais avec des conditions météo extrêmes). On peut même anticiper qu'un reflex non modifié donnerait un niveau de précision tout à fait équivalent à ce qui est relevé ici, voir même supérieur en raison d'une moins grande sensibilité à l'extinction différentielle spectrale de l'atmosphère et une plus grande facilité pour calibrer les données (bandes spectrales plus étroites). On peut même trouver quelques avantages au reflex numérique par rapport au CCD monochrome en matière de photométrie : rendement meilleur car trois bandes spectrales sont acquises dans le même temps, simultanéité d'acquisition pour les trois canaux RVB alors qu'avec un CCD monochrome l'opération est faite séquentiellement (avec le risque le voir le ciel évoluer entre deux filtres), système statique, simplification de la prise de vue des flats, ..

Pouvoir atteindre une précision proche de 1/1000 de magnitude en photométrie relative avec un reflex numérique constitue une bonne nouvelle. Associé au grand champ conféré par le capteur de ces boîtiers numérique et compte tenu de leur large diffusion, les applications scientifiques s'avèrent réelles et extrêmement étendues !

Christian Buil, octobre 2005


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