Par Serge CHEVREL, Association Apollo25
Vacances de Noel 1968... J'allais sur mes 13 ans...
C'était un après midi empli d'une ambiance
particulière, celle des préparatifs des fêtes
de fin d'année. Nous étions allés en famille
acheter des boîtes de chocolats et de retour à la
maison, nous donnions une dernière touche à la
décoration de l'arbre de Noel. Tous les ans, c'était
un moment que nous attendions avec impatience, et qui était
autant savouré que l'instant des cadeaux. Dans un coin de la pièce, la télévision était allumée.
Un film de "Tarzan" passait, donnant une atmosphère qui
contrastait étonnamment avec cette froide journée
d'hiver. A un moment, tandis que la décoration du sapin
touchait à sa fin, mon attention fut attirée par
des images qui défilaient sur l'écran de
télévision. Elles montraient des astronautes dans
un vaisseau, lequel était en route vers la Lune. Sur l'instant,
cela me parut incroyable. Des hommes avaient quitté la Terre
et voyageaient vers la Lune! Je fus totalement captivé par le
reportage et longtemps après que ce dernier fut terminé,
je ne cessais de me répéter, tout au long de la soirée,
que des hommes allaient pour la première fois tourner autour
de la Lune. J'avais du mal à réaliser qu'ils allaient
voir de près cet objet si lointain, si mystérieux et
qui me fascinait de façon incroyable.
Assister pratiquement en direct à un tel
évènement représente un moment important
dans sa vie et un privilège. Bien plus tard, je
réaliserais que les nouvelles de ce jour là et des
suivants, concernant Apollo 8, avaient définitivement
contribué à me propulser sur une voie ou la Lune
allait occuper une place prépondérante.
La décision finale d'un vol circumlunaire fut prise à la mi-Août 1968 et annoncée lors d'une conférence de presse le 19 Août par la NASA. Dans cette conférence, on restait tout de même prudent, annonçant que la décision d'un vol vers la Lune dépendrait du succès de Apollo 7.
Certes la mission Apollo 8 était motivée par le
fait qu'elle donnait l'opportunité de tester le vaisseau
(CSM) en trajectoire trans-lunaire et en orbite lunaire, ce qui
représentait encore de grandes inconnues sur le plan de
la technique du vol. Mais la décision était aussi
fortement politique et tactique dans le contexte de la course
à la Lune entre les américains et les soviétiques.
Un vol habité vers la Lune représentait une grande
première spatiale, au même titre que le premier satellite,
le premier homme dans l'espace et le premier "piéton" dans
l'espace. Or, toutes ces premières avaient été
réalisées par les soviétiques
(Spoutnik-Gagarine-Léonov). Les américains avaient
aussi à leur actif quelques "premières", mais moins
spectaculaires, telle que le premier rendez-vous et arrimage entre
deux vaisseaux autour de la Terre. Un bruit courrait que les russes
préparaient un vol circumlunaire avec un équipage...
Il n'en fallait pas plus aux américains pour précipiter
les choses. Il fut décidé que cette première
spatiale ne leur échapperait pas.
A part quelques problèmes mineurs, la mission Apollo 7
se déroula parfaitement bien, ouvrant ainsi la voie vers
la Lune pour Apollo 8.
Le 21 décembre 1968, à l'aube, à 7h51 heure de Cap Kennedy (12:51 TU), la fusée géante Saturne V décolle du pas de tir 39-A. Plus de 250000 personnes assistent au décollage. Onze minutes et vingt cinq secondes plus tard, Borman signale que le moteur du troisième étage est arrêté. Apollo 8 est en orbite dite de "stationnement" autour de la Terre, à une altitude moyenne de 180 km (185 x 176 km pour être précis; une orbite inclinée à 32.5 degrés et bouclée en 88 minutes).
A 02:27 GET (2) tandis que le vaisseau effectuait sa deuxième orbite, les mots magiques sont prononcés aux astronautes par le CapCom qui est alors Mike Collins: "You are go for TLI !". "Vous êtes bon pour la TLI", c'est à dire l'injection en trajectoire translunaire (Translunar Injection). Le message est bien accueilli à bord et 23 minutes plus tard, alors que Apollo 8 est au dessus de l'océan Pacifique, presque au dessus des îles Hawaii, le moteur J-2 du troisième étage de la Saturne V (l'étage S-IV-B) est mis à feu pendant 5mn19s. Cette mise à feu permet de dépasser la vitesse critique de 38760 km/h nécessaire à la libération de l'attraction de la Terre. Ainsi, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, trois hommes échappent à leur planète et prennent une trajectoire qui va les amener à être capturés par la force de gravitation d'un autre corps, en l'occurrence, la Lune.
03:21 GET. Le troisième étage de la Saturne V, désormais inutile, est largué. Il terminera son vol en orbite autour du Soleil après être passé à proximité de la Lune. En attendant, il reste bien en vue du vaisseau car il est encore relativement près (à environ 250 m)... Un peu trop près même, au goût de Borman, si bien que ce dernier décide d'effectuer une petite manoeuvre (à l'aide des moteurs RCS (3) )pour s'en éloigner davantage.
04:53 GET. Le vaisseau est à environ 33600 km de la Terre. "Ca y est, la Terre est maintenant plus petite que le hublot à travers lequel nous la regardons! " s'exclame Lovell. " Je peux voir presque toute l'Amérique du Sud, quasiment depuis l'Amérique Centrale, le Yucatan et la péninsule de Floride". "Eh, dites au gens de Terre de Feu de mettre leurs imperméables car on dirait qu'il y a un orage là bas..." ajoute Anders.
05:08 GET. Les astronautes observent à environ 5 km devant eux un véritable feu d'artifice!. Il s'agit du troisième étage S-IVB (encore lui...) qui selon une procédure normale, est en train d'éjecter tout l'oxygène et l'hydrogène liquide qui lui reste. Cela rempli tout l'espace de milliers de gouttelettes qui flashent sous la lumière du Soleil... Le spectacle est féerique! Entre la vue du S-IVB et la Terre, les trois astronautes ne savent plus ou donner de la tête. Sauf que... sur les cinq hublots que comporte le Module de Commande, trois d'entre eux sont sérieusement "embués" et deviennent inutilisables pour observer au dehors! Cela est dû à un composant, servant à l'étanchéité des hublots, qui dégaze dans le vide et se dépose entre les trois couches de verre, rendant ce dernier opaque... Un comble! Trois hommes font le voyage vers la Lune et ils risquent de ne rien voir du paysage, comme s'ils se trouvaient à l'intérieur d'une boite de conserve!
05:33 GET. Moins de trois heures après la TLI, la distance à la Terre est de 41440 km. Cette dernière exerce une force moindre sur le vaisseau dont la vitesse a considérablement réduit. Elle n'est plus que de 13760 km/h et ne cesse de décroître au fur et à mesure que le vaisseau s'éloigne.
06:20 GET. Apollo 8 passe en mode dit PTC (Passive Thermal Control), plus communément appelé par les astronautes "le mode barbecue". En effet, le vaisseau dirige son plus grand axe en direction du Soleil, puis il se met a exécuter une lente rotation pour exposer alternativement chacune de ses faces au Soleil et ainsi réduire les différences de températures entre les parties directement éclairées et celles situées dans l'ombre. Il tourne cependant moins vite qu'un poulet à la broche, réalisant une rotation en une heure...
09:25 GET. L'astronaute Ken Mattingly, qui a pris son tour en tant que CapCom, demande à Anders de réaliser une purge des piles à combustible (oxygen fuel-cells) qui se trouvent dans le Module de Service et qui alimentent le vaisseau en électricité et en eau. Cette opération doit être effectuée toutes les dix heures environ. C'est au cours de cette opération qu'une des piles à combustible d'Apollo 13 explosera en avril 1970, endommageant gravement le vaisseau alors en route vers la Lune, avec Jim Lovell à bord...
11:00 GET. A plus de 96000 km de la Terre, l'équipage d'Apollo 8 effectue sa première correction de trajectoire prévue au plan de vol entre la Terre et la Lune. Le moteur principal du vaisseau, le SPS (Service Propulsion System), est mis à feu pendant 2.4 secondes, augmentant la vitesse de 27.2 km/h. C'est la première fois que ce moteur fonctionne depuis le début de la mission. Trente minutes plus tard, toujours selon le plan de vol, le commandant Frank Borman "se met au lit" pour une période de repos, tandis que Jim Lovell et Bill Anders vaquent à des taches ménagères...
13:30 GET (2h21 TU, le 22 décembre). Depuis tout à l'heure, Borman n'arrive pas à trouver le sommeil. Houston décide de mettre en veilleuse les communications avec Lovell et Anders afin que Borman puisse s'endormir.
22:50 GET. Tout est calme à bord d'Apollo 8 qui est à plus de 160000 km de la Terre. Il n'y a pas eu beaucoup de communications pendant ses dernières heures, les astronautes coupant parfois eux même la liaison avec Houston. Après avoir été pendant presque 24 heures sur la brèche, Lovell et Anders vont enfin pouvoir se reposer.
A bord du vaisseau, il y a un magnétophone sur lequel l'équipage enregistre parfois des informations et des messages non urgents destinés à Houston. Il s'agit en quelque sorte d'un "livre de bord" parlé, étant donné que très souvent les astronautes n'ont pas le temps d'écrire. A certains moments de la mission, le contrôle de mission demande aux astronautes de leur passer les messages qu'ils ont enregistrés.
31:15 GET. On est pratiquement à mi distance entre la Terre et la Lune. Tout est redevenu normal à bord. La seule chose préoccupant un peu le docteur Berry est que les trois membres d'équipage mangent et boivent moins que prévu et surtout qu'ils commencent à manquer de sommeil. A présent, les trois astronautes sont en train de réaliser une présentation télévisée. Ils essaient de montrer la Terre, mais leur petite caméra ne peut pas rendre la beauté du spectacle qui s'offre à leurs yeux. Ils se rabattent alors sur des images maintenant classiques, mais inédites à l'époque, qui montrent les astronautes préparant leur repas ou faisant flotter divers objets en apesanteur.
55:10 GET (20:01 TU, le 23 décembre). Les heures ont passées calmement, au cours desquelles les trois hommes se sont occupés à faire du rangement, des contrôles de navigation (sur les étoiles), déplacer des antennes pour les communications avec la Terre, rentrer de nouvelles données dans l'ordinateur de bord pour affiner la trajectoire, et somnoler de temps en temps... A 320000 km de la Terre, ils font une deuxième émission de télévision, en direct. La Terre est très lointaine, ils peuvent maintenant la cacher avec le bout de leur doigt. Vue d'ici, Lovell la trouve comme si elle était inhabitée.
62:35 GET. Houston annonce à l'équipage que tout parait bon et que ce dernier peut prendre une petite période de repos.
68:12 GET (09:03 TU, le 24 décembre). Borman donne le signal
de reprise des activités à bord. Ce dernier indique
à Houston qu'il aimerait bien voir la Lune! Lors du mode
"barbecue", l'orientation du vaisseau est telle que les hublots ne
sont pas tournés vers la Lune. Ce problème de vision
est aggravé, comme nous l'avons mentionné plus haut
(voir 05:08 GET), par le fait que seulement deux petits hublots
sont disponibles sur les cinq que comporte le vaisseau, pour
cause "d'embuage". "C'est comme si on se trouvait dans un sous-marin."
souligne Anders. En fait, seul Lovell a pu jeter un oeil sur la Lune,
et encore, à travers le télescope du vaisseau... Vue
depuis Apollo 8, la Lune apparaît comme un fin croissant.
Attiré par la Lune, Apollo 8 ne cesse d'accélérer.
L'instant de l'insertion en orbite lunaire (LOI) approche,
précédée par la perte de communication avec
le vaisseau (LOS: Loss of Signal) au moment ou ce dernier passera
derrière la Lune pour un observateur terrestre.
68:40 GET. La Lune n'est plus qu'à 2080 km et la vitesse est de 1971 m/s (7096 km/h).
68:48 GET. Nous sommes à dix minutes de la perte de signal. La vitesse est de 2084 m/s (7500 km/h) et la distance de 1520 km.
68:53 GET. Apollo 8 fonce vers la Lune avec une vitesse de 8000 km/h. La distance n'est plus que de 1070 km. La tension monte d'un cran au centre de contrôle de Houston. L'équipage ne dit rien, tant il est occupé à tout vérifier à bord pour préparer la manoeuvre de LOI.
68:57 GET. Le CapCom Jerry Carr signale aux astronautes qu'ils sont à une minute de la perte de signal (LOS) et que tous les systèmes sont "GO". Il souhaite un bon voyage à l'équipage. Anders lui répond: "Merci beaucoup les troupes. On vous retrouve de l'autre coté".
68:58 GET. On a perdu le contact avec Apollo 8 qui est maintenant derrière la Lune. A Houston, on ne plus rien faire sinon attendre que le vaisseau débouche de l'autre coté de la Lune, rendant ainsi les communications à nouveau possibles (AOS: Aquisition of Signal) dans 35 minutes. Borman, Lovell et Anders sont totalement coupés du reste des terriens et sont livrés à eux mêmes. Si tout va bien, d'ici 10 minutes, ils doivent procéder à la mise à feu du moteur SPS pour réduire leur vitesse et se faire capturer par la Lune. En cette soirée de réveillon de Noel, ils seront alors les premiers terriens à être satellisés autour de la Lune. De quoi laisser rêveur...
A suivre dans la deuxième partie: "AUTOUR DE LA LUNE"
Notes
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