L'ARTICLE DE L'ASTRONAUTE No.3 - Décembre 1997



L'HOMME DANS L'ESPACE
(HOMMAGE A "GUETTEUR DE LUNE")

Par Serge CHEVREL, association Apollo25



Lorsqu'on est passionné par l'exploration de l'espace et en particulier par les missions spatiales habitées, on ne peut s'empêcher de réagir à tous les propos qui vont à l'encontre de la présence de l'homme dans l'espace. Parmi les derniers en date, on peut citer ceux de l'actuel ministre l'Education et de la Recherche (voir par exemple "L'Express" du 18 Septembre 1997; Air&Cosmos No.1629, 10 Octobre 1997).
Le débat concernant l'utilité de la présence de l'homme dans l'espace est régulièrement relancé. Pourtant, depuis les débuts de l'astronautique, pratiquement chaque mission spatiale habitée a apporté la preuve que l'homme est réellement indispensable à bord des vaisseaux spatiaux. Mais les opposants aux vols habités ont la peau dure... moins dure cependant que leurs arguments, lorsqu'ils en ont. Il est tellement facile de les démolir (les arguments) que l'on hésite généralement à prendre sa plume pour le faire, pensant que le bon sens critique de tout à chacun fera le travail. Cependant, ne pas réagir, c'est prendre le risque de voir les idées fausses s'imposer. Alors allons y allègrement et défendons haut et fort les vols habités...


L'homme se trouve devant deux destins possibles:
périr dans son berceau, de sa propre main,
de son propre génie, de sa propre stupidité,
ou s'élancer, pour l'éternité du temps vers l'infini de l'espace...
Le choix est pour demain. Il est peut-être déjà fait.

René Barjavel.

Photo NASA.


L'évocation des missions spatiales dont les objectifs ont été atteints grâce à la présence de l'homme à bord serait très longue, en passant de la maîtrise du rendez-vous spatial entre des vaisseaux il y a plus de 30 ans, à la réparation du télescope spatial Hubble, et aux expériences technologiques et scientifiques actuellement menées dans la station Mir ou dans la navette spatiale.
L'exploration de la Lune lors des missions Apollo représente un bon exemple de réussite et de programme spatial irréalisable sans la présence humaine. Tout d'abord, c'est parce que les astronautes assuraient manuellement la dernière phase de l'alunissage que chacun des 6 modules lunaires a pu se poser correctement sur la Lune. En effet, le programme automatique de descente dirigeait presque toujours le vaisseau vers un endroit dangereux car trop accidenté en raison d'une forte pente ou de la présence de rochers ou de cratères. Au cours des marches lunaires, l'installation et la mise en route à proximité du LM d'instruments scientifiques (les stations ALSEP), n'ont été possibles que grâce à la présence de l'homme, la complexité de cette tâche étant irréalisable, même à l'heure actuelle, par des moyens robotisés. Les données recueillies par ces instruments ont contribué de façon importante dans la moisson de résultats scientifiques sur la Lune et son environnement. Enfin, dans le cas de sites géologiquement complexes comme ceux des missions Apollo 15, 16 et 17, là ou la diversité et la représentativité des échantillons de roches à récolter était cruciale pour pouvoir par la suite comprendre l'histoire géologique de la région visitée, la présence de l'homme a joué un très grand rôle gârce à sa capacité encore inégalée, à analyser et à opérer des choix en temps réel.


Hommes et robots dans l'espace:
une complémentarité et non
une compétition. (Photo NASA)

Certes la récente mission martienne Pathfinder a montré, grâce au robot mobile Sojourner, que l'exploration d'une surface planétaire était réalisable à distance par des moyens entièrement automatiques. Cependant ce genre d'exploration apparaît actuellement très limité sur le plan des expérimentations réalisables, et très laborieux car trop lent. En effet, sans parler des nombreuses difficultés qu'il rencontrerait, combien de temps faudrait-il à Sojourner pour réaliser une exploration identique à celle menée par les astronautes d'Apollo 17, il y a tout juste 25 ans dans la vallée de Taurus-Littrow ?...
Dans le domaine des vols orbitaux, maintenir en état de fonctionnement les systèmes de bord d'une station ou d'un vaisseau orbital; reconnecter, voire ressouder les fils d'un instrument et de ce fait sauver une expérience importante pour de nombreux chercheurs; changer le protocole d'une expérience en fonction d'impératifs de dernière minute; à l'occasion d'une sortie dans l'espace donner un coup de pied dans un panneau solaire pour le débloquer et assurer l'énergie à des systèmes du vaisseau.... voici quelques exemples qui montrent que la présence humaine est, et sera toujours, indispensable à bord des vaisseaux spatiaux si l'on veut mener à bien et de façon optimale des expériences destinées à mieux connaître l'univers qui nous entoure et aussi mieux connaître l'homme lui même.


Les astronautes américains G. D. Low et
P. J. K. Wisoff lors d'une activité extra-véhiculaire (mission Endeavour STS-57) d'essais en vue de la réparation du télescope spatial Hubble en 1993.
(Photo NASA STS057-97-056)


Au delà de ces raisons, il est dans la nature profonde de l'homme d'explorer par lui même tous les milieux qui l'entourent.
L'hostilité de certains environnements a parfois ralenti notre progression, mais nous avons presque toujours trouvé la parade technologique pour poursuivre l'exploration de notre planète. Si quelques endroits résistent encore, comme les fonds océaniques, cela n'est qu'une question de temps. S'il est un terrain d'exploration qui soit à la véritable mesure du besoin de connaissance de l'homme, c'est bien l'espace. C'est un milieu qui, au même titre que tous ceux de notre planète, ne restera pas inexploré. D'ailleurs, cela a commencé aussitôt que nous avons possédé les premiers rudiments de technologie pour quitter la Terre. Jusqu' à présent, nous nous sommes seulement aventurés dans la proche banlieue terrestre et jusqu'à la Lune, ceci avec des moyens techniques encore très primitifs... Cela ne représente que les toutes premières étapes de la progression de l'homme dans l'espace, que l'infime partie d'un parcours qui est sans limites.
En prenant lui même part à l'exploration de l'espace, l'homme relève le plus grand défi d'ordre scientifique, technologique et spirituel qu'il puisse rencontrer. Il concrétise un rêve et surtout il répond à un besoin profondément inscrit en lui, quasiment au niveau de ses g ènes. Cette exploration revêt une portée immense car l'espace lointain constitue non seulement un fabuleux terrain d'exploration et d'expérience pour l'humanité, mais il déterminera aussi la destinée de l'homme en terme d'évolution, ceci jusqu'à un stade que nul ne peut aujourd'hui imaginer. Dans les endroits trop hostiles, des engins automatiques et des robots seront mis à contribution pour accomplir à notre place notre tâche d'exploration de l'espace. Cependant, même s'il utilise des moyens tels que la télé-présence et la réalité virtuelle, et même s'il dispose un jour d'un substitut quasiment parfait, l'homme voudra toujours se trouver physiquement présent aux avant-postes de l'exploration spatiale, ceci à chaque fois que cela sera possible.
Marcher à la surface de la Lune, de Mars ou d'autres planètes, sur les traces ou non de robots, voilà ce qui donnera à l'exploration spatiale sa véritable dimension humaine. En fait, l'homme n'a nullement besoin de justifier sa présence dans l'espace. Sur le plan intellectuel et & eacute;thique, sa présence parait si évidente que prétendre le contraire serait se réduire soi même à pas grand chose et faire insulte à l'intelligence et à la condition humaine.


L'astronaute américaine K. C. Thornton lors d'une activité extra-véhiculaire (mission Endeavour STS-49) en 1992.
(Photo NASA STS049-81-093)


Il y a entre 500 000 ans et un million d'années, dans la vallée du rift en Afrique, vivait un hominidé qui aimait regarder la Lune lorsqu'il veillait à l'entrée de son abri. Cet hominidé pourrait être "Guetteur de Lune" de Arthur Clarke dans "2001 l'odyssée de l'espace". En ce temps là, la conscience de l'homme s'éveillait à peine et Guetteur de Lune vivait dans un monde rempli de mystère. Ce n'est que très lentement que les choses de son environnement se mettaient en place dans son esprit en recevant parfois un semblant d'explication. Dans ce paysage, la Lune n'était qu'un objet de contemplation qui conserverait encore longtemps son mystère.
Mais tandis qu'il l'observait souvent et qu'elle se reflétait dans ses yeux, on peut s'interroger si Guetteur de Lune n'éprouvait pas déjà une indescriptible mais néanmoins profonde sensation que l'avenir de son espèce passerait un jour par cet étrange disque qui brillait dans le ciel, pour aller bien au delà, vers les étoiles...
Bien que nous ayons fait le voyage vers la Lune, nous sommes toujours très proches de Guetteur de Lune car nous n'entrevoyons pas encore clairement qu'elle sera notre place et notre destinée dans l'espace. Pour la plupart des terriens, notre progression dans l'espace semble encore faire partie de l'inconscient plutôt que de la réalité, même si nous avons déjà concrétisé certaines étapes essentielles depuis bientôt quatre décennies.


Là où il va il fait un froid mortel
Si l'homme ne change de ciel

Mylène Farmer, "Rêver".


A ce propos, il est à espérer que l'humanité ira "collectivement" dans l'espace. Pour l'instant, l'aventure ne concerne qu'un petit groupe de nations qui ont les moyens d'investir dans le domaine spatial. Notre pays à la chance de se trouver dans ce groupe et à ce titre, il se doit de jouer un rôle d'acteur dans la réalisation des premières étapes de la présence permanente et de la progression de l'homme dans l'espace. C'est dans ce but que des astronautes français se sont beaucoup investis dans les vols habités. Comme l'a dit récemment Jean-Loup Chrétien, il a fallu de nombreuses années d'efforts pour tisser et maintenir des liens solides avec nos partenaires russes et américains, et ainsi intégrer les équipages des vaisseaux spatiaux. Aujourd'hui que nous avons acquis une certaine compétence dans ce domaine, et alors que le travail accompli par le passé porte ses fruits, il serait regrettable d'arrêter, voire de réduire un tant soit peu, notre effort pour participer à des vols habités. Cette idée s'est pourtant manifestée ces derniers temps. Le danger de faire marche arrière existe toujours et l'on se doit de réagir à une telle situation.

Vouloir réduire notre participation aux vols habités, voilà une idée qui parait bien "sotte grenue"... et qui est indigne des descendants de Guetteur de Lune...


Lisez aussi la réponse de Georges Anderlini à ce texte de Serge Chevrel...


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