L'ARTICLE DE L'ASTRONAUTE No.3 - Décembre 1997



1998: LES DEBUTS DE LA STATION SPATIALE INTERNATIONALE (ISS)

Par Serge CHEVREL, association Apollo25



Si tout se passe bien, 4 missions consacrées à l'assemblage de l'ISS (International Space Station), aussi appelée station Alpha par les américains, devraient avoir lieu dans le courant du deuxième semestre de l'année 1998.
Au mois de juin, le tout premier élément de la station sera lancé depuis le cosmodrome de Baikonour dans le Kazahkstan par une fusée Proton et placé sur une orbite de référence de 190 x 430 km, inclinée à 51.6 degrés sur l'équateur.
Selon la dénomination utilisée pour les vols, il s'agira du vol 1A/R et l'élément en question sera le FGB (Functional Cargo Block). On notera que le sigle correspond non pas à la dénomination américaine, mais russe... En effet, le FGB est un module pressurisé de 20 T de fabrication russe (Agence spatiale russe, avec le support de Boeing) dont la fonction est de fournir l'énergie nécessaire à l'ensemble des premiers éléments de la station, et également de propulser ces derniers pour des réajustements de l'orbite.
Pour assurer ces deux fonctions, le FGB comporte des panneaux solaires et du carburant en stockage. Il assurera en outre les communications avec la Terre. Il s'agit donc d'un élément actif, vital dans les premières étapes de la construction de l'ISS. Dans le futur, il est prévu que l'alimentation électrique et les communications avec la Terre seront assurées par d'autres modules, mais pendant plus de 15 ans, le FGB continuera à servir de lieu de stockage de carburant.
Le développement de ce module n'a pas été sans mal, et de avril à décembre 1997, le FGB a du subir à Krunichev (Russie) certaines modifications pour améliorer les systèmes de controle d'attitude, d'avionique et de capacité de stockage en carburant. De ce fait, le premier vol d'assemblage de l'ISS interviendra avec un retard de près de 8 mois sur le planning initial, non pas tellement suite aux modifications apportées au FGB, mais à cause de la situation financière actuelle de la Russie qui a eu du mal à boucler son budget pour cette entreprise.



Vue d'artiste de l'ensemble de la station spatiale une fois tous les modules assemblés,
avec la navette spatiale américaine amarrée au PMA-2. (Document NASA)


Le deuxième vol, dénommé 2A, est programmé pour le 9 juillet 1998. Ce jour là, la navette spatiale Endeavour (vol STS-88) emportera dans sa soute et placera en orbite un élément américain: le "Node 1" auquel sont rattachés deux adaptateurs pressurisés appelés PMA-1 et PMA-2. Le "Node 1" (traduction francaise: noeud ou module servant de connexion) est un module interface comportant 6 ports qui sont autant de points de connexion pour de futurs éléments comme le module d'habitation et le laboratoire américains. L'adaptateur pressurisés PMA (Pressurized Mating Adapter)-1 servira d'interface entre des éléments US et des éléments russes de la station. A l'issue de ce vol, il servira donc de passage entre le "Node 1" et le FGB, amené lors du premier vol (1A/R). Le PMA-2 servira quant à lui de point d'amarrage (docking en anglais) à la navette. A l'issue du vol 2A, on aura donc la configuration donnée dans le schéma ci dessous.



Schéma très simplifié de la station internationale (ISS) à l'issue des 4 vols d'assemblage qui auront lieu en 1998. Les tailles respectives des différents éléments ne sont absolument pas respectées, seule la configuration de l'ensemble étant prise en compte. La station sera composée de trois modules:

  • le FGB (Functional Cargo Block; longueur: 12.3 m; diamètre: 4 m), le premier élément (russe et américain) à etre mis en orbite lors du vol 1A/R (juin 1998).
  • le Node 1 + PMA-1 et PMA-2 (Noeud + Pressurized Mating Adapter 1&2) (long.: 6.6 m; diam.: 4.2 m), le deuxième élément (américain) qui sera assemblé au FGB lors du vol 2A (juillet 1998) à l'aide de la navette spatiale (STS-88).
  • le SM (Module de Service)(long.: 13 m), le troisième élément (russe) qui sera rattaché de facon automatique à l'ensemble FGB-Node 1 au cours du vol 1R (décembre 1998).
    L'ensemble aura une longueur totale d'environ 32 m et une envergure de 30 m au niveau des panneaux solaires (en bleu foncé sur le schéma), et placé sur une orbite moyenne de 380 km d'altitude inclinée à 51.6 degrés sur l'équateur. (Document L'Astronaute, 1997)


    En fait le Node 1 servira de passage entre d'une part les quartiers de vie et d'autre part les modules de travail de l'ISS. Lors du vol STS-88, qui durera 11 jours, le rendez-vous avec le FGB se fera à une altitude de 370 km. Avant l'approche finale avec le FGB, le Node 1 sera sorti de la soute de la navette à l'aide du bras manipulateur (robotic arm). L'amarrage (docking) avec le FGB constituera une manoeuvre délicate car l'astronaute qui manipulera le bras, en l'occurrence Nancy Currie, n'aura aucune visibilité étant donné que depuis le hublot de la navette, le FGB sera complètement caché par le Node 1. Tout se fera donc à l'aide de caméras de TV en circuit fermé à bord (Orbiter Space Vision System) et à l'aide de systèmes d'alignement optique déjà testés lors de vols de navettes. Une fois l'amarrage réalisé, trois sorties dans l'espace (EVA: Extravehicular Activity) seront nécessaires pour réaliser le cablage électrique et concernant les transmissions entre le Node 1 et le FGB (via le PMA-1), ainsi que divers travaux sur les autres ports de connexion du Node 1.

    Schéma du premier module de connection "Node 1". (Document NASA)


    Ces sorties dans l'espace seront réalisées par deux des cinq membres (tous américains) de l'équipage: Jerry Ross (un vétéran en la matière, qui compte déjà 23 heures de marche dans l'espace) et Jim Newman (qui comptabilise 7 heures de marche dans l'espace).
    Depuis le 23 juin 1997 le Node 1 (+ PMA 1 et 2) sont au Centre Spatial de Kennedy pour intégration.

    Le troisième vol pour l'assemblage de l'ISS est le vol 1R, prévu en décembre 1998. Il s'agira cette fois de délivrer en orbite un élément de fabrication entièrement russe: le Module de Service (SM). Cet élément de 19 T, dérivé du module principal de la station Mir, sera lancé par une fusée Proton. C'est un élément important de l'ISS car grace à ses quartiers de vie, c'est celui qui permettra de recevoir les premiers astronautes pour une habitation permanente. Il comprend en effet tous les systèmes de controle environnemental pour la survie des astronautes (ECLSS: Environmental Control & Life Support System), ainsi que tous les systèmes de fourniture d'énergie et de controle de vol et de propulsion. C'est grace à cet élément que la station pourra maintenir son attitude de vol et aura la possibilité de réajuster son orbite, du moins dans les premiers temps car certains de ces systèmes seront plus tard remplacés par des éléments américains.


    Schéma de la structure de la station spatiale après assemblage terminé. (Document NASA)

    Le Module de Service restera dans le futur l'élément structural et fonctionnel principal du segment russe de l'ISS. Pour intégrer les autres éléments déjà en orbite, le Module de Service se rapprochera de l'ensemble FGB-Node 1 puis adoptera une attitude passive.
    A 350 km d'altitude, l'amarrage avec le FGB, se fera de facon automatique par le FGB-Node 1, controlé depuis le sol. Le Module de Service, long de 13 m est composé de trois compartiments principaux pressurisés (voir schéma): un compartiment sphérique de transfert (rattaché au FGB), un cylindre correspondant au compartiment de travail (au centre) et une chambre cylindrique de transfert, laquelle est entouré d'un compartiment non pressurisé comprenant des équipements externes comme les réservoirs de carburant, les systèmes de propulsion et les antennes pour les communications. De grands panneaux solaires, donnant à l'ensemble une envergure de 30 m sont fixés sur le compartiment central. L'ensemble comporte encore 14 hublots (pour admirer la Terre et l'espace, mais surtout pour surveiller les futures activités d'amarrage) et 4 ports de connexion pour d'autres modules, dont des vaisseaux automatiques de ravitaillement Progress, des vaisseaux habités Soyouz et par exemple une plate-forme scientifique russe d'ici juillet 2000.
    Le Module de Service est actuellement en train de subir en Russie des tests de vibration pour le lancement.



    Vue d'artiste de la station spatiale Internationale. (Document NASA)


    Le dernier vol de 1998, le vol 2A.1 aura également lieu en décembre. Il s'agira d'une mission logistique et de ravitaillement par cargo qui sera assurée par une navette américaine. En fait ce vol n'était pas prévu à l'origine, il a été rajouté dans la séquence d'assemblage début 1997 afin d'alléger la charge des vols d'assemblage et pour disposer de plus de marge en cas de problèmes rencontrés lors des vols précédents.

    En 1999, ce sont 8 vols qui sont prévus pour assurer la continuité de l'assemblage de la station: 3A et 2R (en janvier), 4A et 5A (mai), 6A (juin), 7A (aout), 7A.1 (octobre) et 4R (décembre). C'est lors du vol 2R que commencera l'habitation permanente de la station avec une mission de 5 mois pour un équipage de 3 astronautes vétérans des vols spatiaux: William Shepherd (USA), commandant de la mission, Youri Gidzenko (Russie) et Sergei Krikalev (Russie). Les équipages pour les trois missions suivantes sont également nommés. L'ISS prendra donc le relais de la station Mir qui devrait etre abandonnée courant 1999, après 14 ans de loyaux services.
    La fin de l'assemblage de la station internationale, prévue pour 2002, nécessitera en tout 28 vols de navettes américaines (dont 22 vols pour l'assemblage proprement dit, les autres vols étant pour le transport des équipages), et 41 vols russes (dont 10 pour l'assemblage, 10 pour du transport d'équipage et 21 pour des missions de logistique et cargo pour du ravitaillement.
    En l'état final, l'ISS représentera une structure d'environ 90 m de long avec une envergure de 107 m et une masse de 470 T. Elle comprendra en fait 2 modules habitables, pouvant héberger 7 astronautes en permanence (3 pendant la phase d'assemblage), et 9 autres modules pressurisés: 7 modules-laboratoires et 2 modules logistiques. L'espace habitable et de travail représentera au total un volume de 14000 m3, soit l'équivalent de l'espace en cabine passager de 2 Boeings 747.



    >Schéma du deuxième module de connection "Node 2". (Document NASA)


    L'ISS est le fruit d'une collaboration de 15 nations: USA, Russie, Canada, Japon et 11 pays européens regroupés au sein de l'ESA (European Space Agency): Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Suède, Suisse.
    La participation européenne à ce projet apparait principalement sous la forme du développement du module laboratoire Colombus (Colombus Orbital Facility: COF), l'utilisation du lanceur Ariane 5 pour délivrer des charges et le possible développement d'un vaisseau de sauvetage ou de transfert pour les astronautes (Crew Return Vehicle: CRV ou Crew Tranfer Vehicle: CTV) dont nous avons déjà parlé dans "l'Astronaute" No.2.
    Cependant, ces derniers mois, la France, qui avait initialisé le projet d'un CRV/CTV à l'ESA, est en train d'opérer un virage à 180 degrés à propos du développement de cet engin. La non priorité affichée par notre gouvernement pour les vols habités et son hostilité en particulier envers l'ISS, officiellement pour des raisons budgétaires, font que notre pays se retire du projet. La participation francaise entrant à une hauteur de 39% dans ce dernier, ce retrait est en train de compromettre sérieusement le programme européen CRV/CTV, et par la meme occasion le programme américain X-38 auquel il était lié (le X-38 étant un prototype de CRV; voir "l'Astronaute" No.2.)
    Quoi qu'il en soit, meme si certains partenaires ont une politique encore incertaine et si certains revirements de situation sont possibles, la station spatiale internationale est bel est bien en route pour la proche banlieue Terrestre, et s'apprete à jouer un role important dans l'aventure spatiale.

    Bien entendu, dans les prochains numéros de "l'Astronaute", nous aurons l'occasion de revenir largement sur la phase d'assemblage, ainsi que sur de nombreux autres aspects de la station: son role et ses fonctions, la collaboration internationale, les transports, etc.



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